Pas de transition environnementale sans projet collectif
Jean Pisani-Ferry, économiste estime que dans une économie où les choix de chacun pèsent sur tous, il faut repenser le rôle de la puissance publique. Et donc oui, planifier. La question est de savoir comment, considère l’économiste dans sa chronique au « Monde ».
Chronique.
A défaut d’accéder au second tour, Jean-Luc Mélenchon a réussi à imposer son thème-phare, la planification écologique, qu’Emmanuel Macron a repris à son compte en annonçant qu’il en chargerait directement le premier ministre.
L’expression surprend : le dernier plan français a pris fin en 1992. Mais, surtout, on a longtemps dit que la transition écologique reposerait sur le marché. Les économistes répétaient que le rôle des gouvernements n’était pas de jouer les chefs d’orchestre, mais de donner un prix au carbone. Le reste – choix des technologies, spécialisation sectorielle, consommation, modes de vie – serait du ressort des agents privés. L’Etat fixerait l’ampleur et le rythme de la transformation, le marché en déterminerait les modalités.
Cette belle architecture s’est défaite. En France, la hausse de la fiscalité carbone est suspendue depuis fin 2018 ; aux Etats-Unis, Joe Biden a renoncé à cet instrument ; dans le reste du monde, les recettes correspondantes sont neuf fois inférieures aux subventions aux énergies fossiles, selon les calculs de l’Institut d’économie pour le climat. Certes, le marché européen des quotas fonctionne, et l’UE envisage de l’étendre. Mais ce ne sera, au mieux, qu’un instrument partiel.
La raison première de cet échec est une hostilité sociale profonde à la tarification du carbone. Celle-ci n’est pas sans fondement : en France, en 2019, un quart seulement du produit des nouvelles taxes devait être redistribué aux ménages. Mais même une restitution intégrale, pour un montant égalitaire, est perçue comme injuste. Pour celles et ceux que le prix des combustibles contraint à se restreindre, l’équité commande d’obliger les plus aisés à renoncer à leurs week-ends à Rome. Pas d’en augmenter le prix.
Il y a pire. Si l’on veut qu’entreprises et ménages investissent pour réduire leurs émissions, il ne suffit pas de fixer le prix du carbone pour aujourd’hui, il faut aussi le programmer pour dans vingt ans. Or, les gouvernants ne peuvent pas lier les mains de leurs successeurs. Et quand ils le font, cela n’empêche pas l’Etat de se dédire : en 2013, l’abandon de l’écotaxe poids lourds lui a coûté 1 milliard d’euros en indemnités. Ce manque de crédibilité affaiblit grandement l’instrument.
Toujours nécessaire, le prix du carbone ne sera donc plus la pierre angulaire de la stratégie climat. L’Etat va agir davantage par la réglementation, la subvention, l’investissement, et assumer la responsabilité de choix technologiques, territoriaux ou sociaux. C’est, au fond, normal : entre nucléaire et renouvelables, entre mobilité électrique et hydrogène, entre métropolisation et renaissance des villes moyennes, la décision appartient à la société. Dans une économie où les choix de chacun pèsent sur tous, il faut repenser le rôle de la puissance publique. Et donc, oui, planifier. La question est comment.
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