Politique étrangère de Macron: les échecs
Pour Thomas Gomart, directeur de l’Institut français des relations internationales, Emmanuel Macron n’a pas su éviter les revers diplomatiques face à Poutine, à l’alliance Aukus, et au Mali. (Interview dans le Figaro)
Thomas Gomart est directeur de l’Institut français des relations internationales. Son dernier ouvrage est Guerres invisibles, éd. Tallandier, 2021.
Emmanuel Macron s’est-il inscrit dans la continuité de ses prédécesseurs, ou a-t-il fait prendre une direction nouvelle à la diplomatie française ?
Thomas GOMART. - Emmanuel Macron a essayé de faire preuve d’un classicisme agile. Il s’est inscrit à la fois dans la continuité de ses prédécesseurs, tout en tentant d’apporter des éléments de disruption. Il a pris des risques plus ou moins payants. La continuation par rapport à ses prédécesseurs de la Vème République s’observe dès ses premiers pas en tant que président. Tout d’abord, le volet occidental à travers la relation très spécifique entre Washington, Londres et Paris, par l’invitation faite à Donald Trump d’assister au défilé du 14 juillet 2017. Il sait que l’embryon d’alliance atlantique apparaît à la fin de la Première Guerre mondiale. Ensuite, la relation franco-allemande par le conseil des ministres franco-allemands, qui a décidé d’un certain nombre de programmes d’armement structurants. Enfin, l’importance accordée à la relation avec Moscou, notamment par l’invitation de Vladimir Poutine à Versailles. En ce sens, il réalise des figures imposées, tout en cherchant à imposer son style.
Puis, l’aspect disruptif, l’ «agilité» pour reprendre un terme qu’il affectionne, c’est d’avoir beaucoup investi sur des rendez-vous censés nourrir le multilatéralisme. Cette tendance a été accentuée après les décisions de Donald Trump de sortir de l’accord de Paris, et de l’accord sur le nucléaire iranien. Elle s’est traduite par une multiplication d’événements multilatéraux et multifacteurs qui correspondent au souci d’Emmanuel Macron d’apparaître comme agile. Il a aussi multiplié les prises de parole dans différents formats avec une volonté évidente de moderniser l’image de la France.
Cette stratégie a-t-elle permis d’affirmer la France comme un acteur influent et crédible sur la scène internationale, ou au contraire doit-on lire, par exemple l’incapacité à s’imposer face aux États-Unis dans la crise des sous-marins, ou comme un médiateur face à Poutine dans le conflit ukrainien, comme une baisse de l’influence française ?
Si l’on essaye de faire le bilan de ce que sa diplomatie a produit, il y a plusieurs déceptions profondes. La plus importante est sans doute l’issue de son dialogue continu avec Vladimir Poutine qui n’a pas empêché l’agression russe en Ukraine. La deuxième déception est la découverte de l’alliance Aukus nouée par les « trois démocraties maritimes » ainsi que ces pays se définissent, alors que l’Australie était considérée comme un des principaux points d’appui dans tout le discours français sur l’Indopacifique. Il y a également des déceptions liées à sa tentative de modifier la situation politique au Liban, et une très grande question sur la politique française au Sahel avec la décision d’arrêter l’opération Barkhane. Ce sont des éléments qui montrent les difficultés, les revers rencontrés par la diplomatie française.
Si on regarde les réussites, Emmanuel Macron est le seul en 2017 à être élu sur un discours pro-européen. À la différence de tous ses autres compétiteurs, il n’a jamais varié sur cet engagement. De ce point de vue, il a obtenu un certain nombre de transformations au sein de l’Union européenne. La mutualisation de la dette, le fait que la notion de souveraineté européenne ou souveraineté technologique soit devenue plus centrale, et le fait que l’Union européenne ait réussi à participer à la crise sanitaire dans sa gestion à la fois sanitaire, vaccinale et économique font partie des réussites diplomatiques.
La deuxième réussite est d’avoir construit un discours sur le multilatéralisme à l’attention des acteurs désireux de ne pas être piégés par la rivalité sino-américaine, tout en étant parfaitement clair sur son système d’alliance. C’est un discours qui s’est adressé à des pays comme l’Inde, à une volonté de renouveler les termes des échanges avec des pays africains, les pays du Golfe ou encore l’Indonésie. La France a joué un rôle moteur pour les enjeux liés aux biens communs, comme la lutte contre le réchauffement climatique ou la perte de la biodiversité. Elle s’est montrée active dans la mise en œuvre des ODD (objectifs de développement durable).
Le troisième aspect, le plus important, est sa lucidité sur de la rapidité de dégradation de l’environnement stratégique. C’est le premier président qui assume ouvertement le réarmement. Il a clairement rompu avec l’héritage de ses prédécesseurs, qui avait négligé le budget de la défense, tout en décidant d’interventions extérieures. Parallèlement, il s’est employé à convaincre ses alliés européens de la nécessité de réarmer.
Au final, pour produire des effets à moyen et long termes, une politique étrangère dépend de la solidité économique du pays. Le problème fondamental de la France est le suivant : son positionnement diplomatique connaît un rendement décroissant au moment où sa sécurité exige des coûts croissants. L’effet ciseaux est prévisible : une propension plus élevée à prendre des coups et une capacité plus limitée à en porter.
La fin du quinquennat a été marquée par la fin de la présence française au Mali commencée sous François Hollande, quel bilan tirer de ces 9 ans de présence et de ce départ poussé par le nouveau pouvoir malien ?
Il faut commencer par noter qu’Emmanuel Macron a résisté à la tentation des interventions militaires extérieures. Le Mali est un héritage de la présidence Hollande, comme vous l’avez rappelé. Sur le plan militaire, cela a été une opération qui a régulièrement permis de « neutraliser » des djihadistes, et donc de limiter leur progression. Ces opérations se sont accompagnées d’efforts pour encourager le « 3D » c’est-à-dire des actions combinées de défense, de diplomatie et de développement. Cela a eu aussi pour vertu de faire comprendre aux Européens que la situation au Sahel concernait leur propre sécurité, ce qui a entraîné un certain nombre d’européens à participer de manière modeste à l’effort.
Le bilan négatif est qu’évidemment en dépit d’une présence sur le terrain, Paris n’a pas vu venir les deux coups d’État, a sous-estimé le sentiment anti-français qui s’est développé dans la sphère informationnelle, l’a négligé et a dû faire face à une activité informationnelle qui s’est retournée contre Paris. De plus, ces opérations ont abouti à une usure de l’outil militaire puisqu’elles ont mobilisé plus de cinq mille hommes, sans parvenir à distinguer entre une mission qui, initialement était de stopper les djihadistes (donc qui relevait d’éléments uniquement militaires et qui était réussie), et l’ambition trop importante de contribuer à la reconstruction de l’État malien, ce qu’une opération militaire ne peut pas faire, surtout de cette taille.
La réflexion qui devrait guider l’indispensable retour d’expérience est de comprendre comment nous sommes passés d’une logique de contre-terrorisme à une logique de reconstruction d’État.
La France a-t-elle redéfini son rôle au sein de l’Europe, notamment depuis le départ d’Angela Merkel ?
Oui et non. Oui, dans la mesure où Paris est une des rares capitales européennes où on est encore capable d’avoir une pensée globale sur le monde. C’est de plus en plus rare au sein de l’Union européenne. Paris conserve une capacité d’initiative, malgré les difficultés que nous connaissons. Son positionnement est sans doute meilleur au sein de l’Union européenne en 2022 qu’il ne l’était en 2017, mais le Brexit a entraîné une dégradation préjudiciable de la relation de la France avec Londres.
Non, dans la mesure où il y a un sous-investissement français, qui s’explique par une culture administrative, une absence de mobilisation de moyens, et une difficulté à exercer de l’influence. Exercer de l’influence est un métier, qui demande une vision, des moyens et surtout de la constance. Il ne suffit pas d’avoir des idées et de penser que tout le monde va s’y ranger tellement elles sont intelligentes. Il y a un sous-investissement structurel dans les institutions européennes, dans le jeu européen de la France, par rapport à d’autres acteurs qui maîtrisent beaucoup mieux les rouages bruxellois en particulier parlementaires. Le problème de la France est d’avoir envoyé à Bruxelles des parlementaires qui, pour une large partie d’entre eux, sont contre le projet européen. De ce point de vue, il y a une grande difficulté de la France: d’un côté Emmanuel Macron assume un positionnement européen, affirme qu’il faut aller plus loin dans la construction européenne et, de l’autre, il fait face à des forces politiques très hostiles à l’Union européenne.
Pensez-vous que la suppression du corps diplomatique par la réforme de la haute fonction publique risque d’influer sur cette capacité à « avoir une pensée globale sur le monde » que vous décrivez ?
Dans les atouts de la France, il y a incontestablement une forte culture militaire et une forte culture diplomatique. Les deux vont de pair. Est-ce que cette réforme va altérer ce savoir-faire, ou permettre d’accélérer une adaptation, une modernisation de l’outil diplomatique français ? Très franchement, il y a une spécificité du métier de diplomate qui porte notamment sur la maîtrise de langues rares, l’art de la négociation, la capacité à naviguer dans différents milieux, de vivre dans des pays difficiles. Les diplomates doivent conserver ces traits spécifiques au cœur de leur identité, tout en se formant au cours de leur carrière. Une réforme est toujours difficile.
Pour conclure quels enjeux principaux en politique étrangère attendent le vainqueur du scrutin de dimanche ?
Ce sont clairement la suite et les conséquences de la guerre d’Ukraine. C’est le sujet systémique. Le prochain président ou la prochaine présidente va devoir très vite agir pour la sécurité européenne au sens dur du terme. Et n’aura pas droit à l’erreur.
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