Macron, un président-caméléon

Macron, un  président-caméléon

 Un papier du JDD sur le parcours très sinueux du président caméléon.

Il était jeune, il était neuf. Au pied de la pyramide du Louvre choisie pour célébrer sa victoire, ­Emmanuel Macron , 39 ans, promesses de « révolution » – le titre de son livre de campagne – en bandoulière, réussissait le 7 mai 2017 l’exploit de s’emparer de l’Élysée sans parti installé ni expérience élective. Sa doctrine ? Un « en même temps » pragmatique et transformateur… Flou, surtout. En cinq ans, le libéral décomplexé a fait un motif de fierté du massif soutien étatique, « quoi qu’il en coûte », aux entreprises du pays fragilisées par le Covid-19. Le réformiste effréné s’est obligé à prendre le temps de parcourir le pays de grands débats en grands débats, pour comprendre les Gilets jaunes, après l’éruption de leur colère. Face aux spectaculaires crises du quinquennat, le pragmatisme s’est mué en étonnante capacité d’adaptation, en une singulière aptitude à réaliser les plus grands écarts politiques.

Bien sûr, les premiers mois de son mandat, et le traditionnel état de grâce qui les accompagne, lui permettent de réformer, « sabre au clair » – l’expression est de lui, a posteriori. Ordonnances de transformation du Code du travail, ouverture de la SNCF à la concurrence, asile et immigration, transcription dans le droit commun de mesures d’état d’urgence… Le mur de ses 308 députés, novices mais disciplinés, alliés aux fidèles 42 élus MoDem, ne laisse aucune prise d’escalade à ses adversaires. Même l’Insoumis Jean-Luc Mélenchon, prétendant au titre de premier opposant, le concède au chef de l’État au bout de cinq mois : « Pour l’instant, c’est lui qui a le point. »

Le jeune Président est en confiance. Trop ? Très vite, la promesse de disruption se transforme en mots qui choquent. Dès juin 2017, ce sont ces « gens qui ne sont rien » que l’on croise dans une gare. Un an plus tard, les aides sociales qui coûtent « un pognon de dingue », puis cet horticulteur au chômage qui, s’il « traverse la rue », retrouvera un emploi. Encore quelques mois, et voilà les ­Français, ces « Gaulois réfractaires au ­changement », accusés d’être « 66 millions de procureurs » qui critiquent sa gestion de la crise épidémique. Dernièrement, il revendiquait même de vouloir « emmerder » les antivax.

À l’été 2018, Emmanuel Macron le hardi affronte sa première crise politique. « Qu’ils viennent me chercher ! », lance-t-il devant les parlementaires de sa majorité, alors que gronde l’affaire Alexandre Benalla. Quelques mois plus tôt, ce chargé de mission de l’Élysée, mêlé à des policiers mais épinglé par Le Monde, avait violemment maîtrisé un manifestant du 1er‑Mai. Il a depuis été condamné à trois ans de prison, dont un an ferme sous bracelet électronique, et a fait appel. Bravache, son ancien patron donne l’air de ne rien lâcher… Si ce n’est sa réforme des institutions. Face à la bronca des oppositions parlementaires qui s’emparent de l’affaire, le projet est abandonné. La machine réformatrice se grippe. Ce premier écueil en annonce d’autres, bien plus périlleux.

Décembre 2018. Les vents de la contestation tournent à la tempête sociale. Comment calmer la fureur des Gilets jaunes qui occupent des ronds-points partout en France, défilent chaque samedi, saccagent l’Arc de Triomphe, pendent des mannequins à l’effigie d’Emmanuel Macron, incendient la préfecture du Puy-en-Velay (Haute-Loire) ? Le chef d’État jupitérien vacille. « Pour la première fois, il a eu l’air dépassé par les événements », raconte à l’époque un ministre. Cette fois, il faut lâcher. Beaucoup. La ­Macronie abandonne la taxe carbone, carburant de la colère populaire. Et décaisse, après dix-huit mois d’assainissement budgétaire, 17 milliards d’euros : élargissement de la prime d’activité, défiscalisation des heures supplémentaires, prime de fin d’année…

Surtout, ce président dont les organisations syndicales et les élus locaux fustigent l’isolement ­redescend à portée de baffes. Pendant trois mois de « grand débat », Emmanuel Macron rencontre, des heures durant, maires, enfants, intellectuels, jeunes, associations, manifestants… Le pouvoir y gagne une bouffée d’oxygène, les protestataires perdent leur souffle. « Il a compris beaucoup plus rapidement qu’Édouard Philippe [le Premier ministre] que, face à un mouvement pas toujours rationnel, il ne fallait pas réfléchir uniquement de façon logique, mathématique », analyse aujourd’hui une élue de la ­majorité.

Le répit sera de courte durée. Quinze mois plus tard, le chef d’État, occupé à mener la mère des batailles, celle de la réforme des retraites qui devait rénover de fond en comble notre système… abandonne. Car « nous sommes en guerre », diagnostique-t‑il. Et contre un ennemi inconnu et insaisissable. Le Covid-19 tue vite, trop vite pour empêcher l’impensable. Le 14 mars 2020, Édouard Philippe place la France en quarantaine. « On plongeait dans un inconnu dont on ne connaissait pas la suite, se souvient le ministre Marc Fesneau (­Relations avec le Parlement). Heureusement d’ailleurs, car on se serait fait peur. » Le transformateur en chef n’a d’autre choix que de se muer en protecteur. Emmanuel Macron le libéral devient l’un des dirigeants les plus étatistes d’Europe. Pour maintenir entreprises et salariés la tête hors de l’eau, il se convertit au keynésianisme, ici rebaptisé « quoi qu’il en coûte »« Le Président a été radical, soutient une macroniste. Il n’a pas laissé le temps à Bercy de se demander quel impact ça aurait sur les finances publiques. »

Déjà, une autre guerre surgit, qui donne une nouvelle couleur au Président-caméléon. Le 24 février, les chars russes envahissent l’Ukraine, et la campagne présidentielle ­française. D’abord empêché d’enfiler totalement le costume de candidat, le président sortant donnera le sentiment de corriger le tir, une fois entré de plain-pied dans la campagne électorale. Lui dont le bilan écologique n’est salué que par ses fans multiplie les annonces environnementales. Celui dont beaucoup considèrent qu’il a gouverné au centre droit s’attache à lister ses mesures sociales, à prioriser protection de l’enfance et aides aux familles monoparentales, à défendre sa proposition d’une « solidarité à la source ». Le fossoyeur du plan banlieues, proposé par l’ancien ministre Jean-Louis Borloo, accorde à l’une d’entre elles, Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), l’un de ses ultimes déplacements, jeudi dernier. Et au média spécialiste des cultures urbaines, Booska-P, sa dernière interview. Que restera-t-il, dimanche soir ou dans cinq ans, du macronisme ? Un ministre proche du Président l’assure : en cas de réélection, « il sera préoccupé de la trace qu’il va laisser, de sa place dans la démocratie française ». Mais laquelle, ­exactement ?

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