Un front pas très républicain
BILLET DE Nicolas Antoine-Gaioni, Dommartin (Rhône) , lecteur du Monde
« Monsieur Macron, vous demandez mon vote. Vais-je le donner pour que vous appliquiez un programme qui aboutit à jeter tous les oubliés dans les bras de l’extrême-droite ?, interroge Nicolas Antoine-Gaioni. Vous n’aurez pas mon vote en échange d’engagements flous. Vous n’aurez pas mon vote si vous ne vous engagez pas à mettre en place un gouvernement d’union nationale. »
Je suis un obscur. Un aide-soignant – un de ceux que vous avez appelés premiers de corvée. Un petit. Cela ne veut pas dire que je n’ai pas fait d’études – une fac d’histoire, cela peut servir parfois. Cela ne veut pas dire que je ne sais pas lire vos programmes.
Je suis un de ceux qui voient leurs collègues serrer les dents toute une vie, et user leur corps et leur santé pour tenter de garder la tête hors de l’eau. Un de ceux qui ne comprennent pas comment certains peuvent gagner des dizaines de fois mon salaire en une seule journée – et trouver encore que je suis trop payé. Cela ne veut pas dire que je me trompe de colère. Je suis républicain et démocrate.
Je suis sans parti. Sans syndicat. Sans engagement – j’ai été occupé à élever ma fille. Cela ne veut pas dire que je suis sans convictions. En 2002, j’ai fait barrage à l’extrême-droite en votant Jacques Chirac ; en 2017, j’ai fait barrage à l’extrême-droite en votant Emmanuel Macron.
Et aujourd’hui je constate. En 2002, au lieu d’un gouvernement d’union nationale, Jacques Chirac a fait l’UMP. En 2017, au lieu d’un gouvernement d’union nationale, Emmanuel Macron a fait le vide et détruit tous les anciens partis. L’un comme l’autre, après avoir appelé et bénéficié du front républicain, ont fait semblant de croire que nos suffrages donnés étaient des votes d’adhésion à leur programme. Faire appel au front républicain la veille du scrutin ; l’oublier le lendemain.
Et il faudrait recommencer ? Monsieur Macron, vous demandez mon vote. Vais-je le donner pour que vous appliquiez un programme qui, structurellement, aboutit à jeter tous les oubliés dans les bras de l’extrême-droite ? Pour que vous appliquiez un programme qui, structurellement, crée toutes les conditions pour que Madame Le Pen, ou ses héritiers, gagne la prochaine fois sans possibilité de recours ?
Votre programme a sa cohérence, ses atouts – ses bénéficiaires. Il a sa cohérence et il aura ses réussites – au profit d’une montée des inégalités déjà démontrée, aux conséquences elles aussi démontrées dans tous les pays qui ont suivi ces politiques : la fragilisation de la démocratie et l’éclatement du contrat social. Est-ce pour ces perspectives que je vous donnerais mon suffrage ? Il n’en est plus question en l’état.
Je ne parle, il est vrai, que pour moi-même, sans légitimité pour porter la voix de qui que ce soit. Mais peut-être malgré tout suis-je représentatif, depuis mon petit coin d’obscurité, d’un électorat et d’une classe sociale qui jusqu’ici se sentent méprisés, et dont les réactions sont les simples conséquences de vos manières de faire.
Alors écoutez. Vous n’aurez pas mon vote en échange de discours creux. Vous n’aurez pas mon vote en échange d’engagements flous. Vous n’aurez pas mon vote en prétendant simplement une fois encore, que rien ne sera comme avant. Tout prouve qu’il y a toutes les chances pour que tout soit comme avant – il suffit d’entendre vos ministres clamer sur les radios qu’il faut faire campagne « projet contre projet ». Vous n’aurez pas mon vote si votre projet ne change pas, parce que s’il n’est pas l’extrême-droite, il mène à l’extrême-droite.
Alors écoutez. Vous n’aurez pas mon vote si vous ne vous engagez pas à mettre en place un gouvernement d’union nationale. Vous n’aurez pas mon vote si vous n’incluez pas dans votre projet des éléments structurants des programmes des candidats dont vous lorgnez les électeurs – reprenez par exemple intégralement et sans filtre les propositions de la Convention citoyenne pour le climat que vous aviez vous-même mis en place. Vous n’aurez pas mon vote si vous ne mettez pas en place avec les autres partis un contrat de gouvernement écrit, négocié, à l’allemande.
C’est en cela seulement que vous serez digne du front républicain. Et, accessoirement, du petit vote de gens obscurs comme moi.
Nicolas Antoine-Gaioni, Dommartin (Rhône)
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