Environnement et présidentielle : l’impression d’un désintérêt

Environnement et présidentielle : l’impression d’un désintérêt 

L’impression de désintérêt des candidats pour les questions environnementales se justifie par des propositions trop souvent floues ou consensuelles à rebours des préconisations des scientifiques. Par Simon Persico, Université Grenoble Alpes (UGA) et Esther Hathaway, Université Grenoble Alpes (UGA)

Marches pour le climat le 12 mars en référence au film à succès « Look Up », rassemblements prévus le 9 avril à la veille du premier tour : les activistes du mouvement climat n’ont cessé de relancer la mobilisation depuis les premières grèves en 2018.

Elles et ils partagent l’impression d’un désintérêt des candidats et des médias lors de cette campagne présidentielle, dont témoigne, par exemple, le fait que moins de 5 % du contenu des journaux télévisés soit consacré à la crise climatique, selon les données mises en avant par le collectif Media Climat. Dernier exemple de cette déconnexion : le climat était presque absent de l’émission « Élysée 2022 » du 31 mars sur France 2, chaîne du service public.

Et ce en dépit de l’aggravation des problèmes liés au climat ou à la biodiversité, comme en attestent les rapports du GIEC qui se font de plus en plus précis et pessimistes sur l’ampleur des bouleversements à venir.

Qu’en est-il réellement ? L’environnement est-il absent de la campagne ? Et comment les différents candidates et candidats prennent-ils position sur ces enjeux ?

Cet article montre en réalité que les enjeux d’environnement et d’énergie bénéficient d’une attention moyenne élevée et inédite, dans les médias comme dans les programmes présidentiels. L’impression de désintérêt se justifie toutefois par le fait qu’une majorité des candidats, et les favoris du second tour en premier lieu – Emmanuel Macron (LREM) et Marine Le Pen (RN) – rejouent la stratégie d’accommodement qui a longtemps mené les partis à formuler des propositions générales, floues et souvent consensuelles, loin des attentes de plus en plus claires formulées par les scientifiques.

Cette impression se justifie aussi par la division et l’absence de perspective de victoire des deux candidats qui portent le plus fortement ces enjeux – Yannick Jadot (EELV) et Jean-Luc Mélenchon (LFI).

Les années 2018-2019 ont vu un mouvement significatif de l’opinion publique française en matière d’écologie. Si celui-ci s’est légèrement tassé, comme on l’observe dans la Figure 1, alors que les enjeux sanitaires et, plus récemment, le pouvoir d’achat, se sont invités au sommet des priorités citoyennes, une part importante des personnes interrogées – une personne sur 4 environ – considère que l’environnement fait partie des enjeux les plus importants.

Le souci de l’environnement fait partie du quatuor de tête des enjeux les plus importants depuis quatre ans. Selon l’enquête Fractures françaises de 2021, le constat selon lequel le réchauffement climatique est dû à l’activité humaine et largement partagé (68 % des personnes interrogées). Quatre personnes interrogées sur cinq désirent que le gouvernement « prenne des mesures rapides et énergiques pour faire face à l’urgence environnementale », même si ces mesures exigeraient des modifications dans les modes de vie des citoyens.

À cette prise de conscience dans l’opinion publique correspond une augmentation de la visibilité des enjeux environnementaux dans les médias, dont témoigne la Figure 2 ci-dessous, qui représente l’évolution de l’attention accordée à l’écologie dans la presse écrite lors des 6 mois précédent le dernier mandat.

Cette hausse d’attention reste limitée (+3 points environ par rapport aux campagnes de 2007, 2012 et 2017) et le traitement médiatique de ces enjeux reste principalement marqué par une approche consensuelle et dépolitisée, comme l’avait montré Jean-Baptiste Comby en 2015. Par ailleurs, tout indique que les médias ne connectent pas forcément ces enjeux environnementaux à la campagne en train de se dérouler. Pour de nombreux citoyens soucieux de l’avenir de la planète (et de l’humanité), cela demeure insuffisant.

En réponse, aucun candidat ne se montre muet sur les questions environnementales – cela avait pu être le cas par le passé.

La Figure 3, ci-dessous, qui représente la part des enjeux d’environnement et d’énergie dans les programmes présidentiels de tous les candidats depuis 1995, est explicite : 2022 est marquée par une visibilité inédite dans l’ensemble des programmes.

Tous soulignent la nécessité de l’action gouvernementale ; aucun – à l’exception de quelques sorties d’Éric Zemmour en début de campagne - n’adopte de positions explicitement climatosceptiques ou remettant en doute la nécessité d’agir.

 

On note que Valérie Pécresse (LR) (11%), Anne Hidalgo (PS) (12%), Jean-Luc Mélenchon (14%) et surtout Yannick Jadot (22%) montrent un intérêt plus prononcé que les autres. Cette hiérarchie correspond d’ailleurs peu ou prou aux différentes évaluations des programmes réalisées par différentes organisations environnementales, comme le Réseau Action Climat ou le Shift Project, qui évoluent plutôt favorablement les programmes des candidats insoumis et écologiste.

Si l’on s’intéresse aux positions prises dans ces programmes, on constate que trois thèmes dominent : on retrouve ici la logique du tunnel de l’attention – le fait que les débats nationaux se concentrent sur un ensemble limité d’enjeux.

Nous présentons ces thèmes par ordre croissant d’attention en finissant par la question de l’origine de la production électrique, la plus visible et sur laquelle l’affrontement est le plus explicite entre les candidats.

D’abord, à l’exception de celui de Marine Le Pen, tous les programmes évoquent la protection de la nature, que ce soit dans le cadre du combat pour le « vivant », chez Yannick Jadot, ou dans le but patriotique de protéger « la beauté de nos paysages » chez Éric Zemmour.

A. Hidalgo et Y. Jadot souhaitent promulguer une loi contre l’écocide, et Y. Jadot, J.-L. Mélenchon, F. Roussel et V. Pécresse souhaitent protéger la biodiversité marine. Tous les candidats de gauche expriment leur souhait d’accompagner des agriculteurs vers la transition écologique. Même E. Zemmour promeut l’agriculture biologique et souhaite interdire certains pesticides. Seule la chasse suscite des positions antagonistes. Y. Jadot souhaite interdire la chasse les week-ends et lors des vacances scolaires et J.-L. Mélenchon interdire les méthodes de chasse cruelles, mais les autres candidats, muets sur cette question dans les programmes, tendent à défendre le statu quo dans la campagne.

Un autre enjeu présent dans les programmes est celui de la décarbonation de l’économie française. Tous les candidats reconnaissent le besoin de sortir des énergies fossiles, et ils ont tous une solution à soumettre – que ce soit via le nucléaire, les énergies renouvelables, la mobilité douce ou des formes de taxe carbone. Les propositions en la matière sont souvent floues et générales, marquant une volonté de brouiller les pistes ou de ne prendre aucun risque.

Plusieurs candidats se réfèrent à l’objectif fixé par la loi énergie-climat, qui vise à atteindre zéro émission nette à l’horizon 2050, mais les engagements ne sont ni précis, ni crédibles, comme l’ont indiqué les organisations environnementales qui ont évalué les programmes ou les réponses des candidats.

La question de la production électrique est celle qui domine l’ensemble des programmes. Et c’est aussi celle qui suscite le plus clair désaccord. D’un côté, A. Hidalgo, Y. Jadot et J.-L Mélenchon insistent sur la possibilité de s’engager vers 100% d’énergies renouvelables, incluant la biomasse et le photovoltaïque (Jadot) ou bien la géothermie et les énergies maritimes (Mélenchon).

Ces candidats prônent également l’installation de nombreuses éoliennes. À l’inverse, leurs concurrents de droite et d’extrême droite dénoncent le développement de ces énergies intermittentes accusées d’abîmer les paysages, alors même que l’énergie éolienne constitue une part importante de tous les scénarios visant la neutralité carbone en 2050, qu’ils soient produits par RTE ou l’ADEME. Emmanuel Macron se prononce en faveur de l’énergie éolienne.

Et en même temps, il est favorable à la construction de six nouveaux réacteurs nucléaires.

De fait, le nucléaire civil est présent dans cette campagne comme jamais auparavant. La majorité des candidats s’engagent ainsi à une relance du programme de construction de nouveaux réacteurs. Pour E. Macron, il s’agit d’un revirement par rapport à 2017, annoncé dès 2021. Pour la droite et l’extrême droite, il y a moins de surprise : elles prolongent ce qui a toujours été leur position.

Du côté de la gauche et des écologistes, il n’y a pas de consensus autour de cette technologie. Le Parti communiste, qui avait entamé une évolution sur la question, retrouve, à travers le programme de Fabien Roussel, une position très favorable à l’atome. Pour Anne Hidalgo, le nucléaire doit servir d’« énergie de transition », avec une sortie progressive après 2050. Yannick Jadot se place dans la continuité de sa famille politique, qui s’est construite, comme la plupart des partis verts en Europe, sur l’opposition à cette énergie.

Jean-Luc Mélenchon se prononce lui aussi pour une sortie du nucléaire, même s’il s’est déclaré ouvert à l’idée d’un référendum sur le sujet au cours de la campagne, retrouvant ainsi la position qui était la sienne lors des derniers scrutins.

Si les phrases emphatiques et générales pour souligner l’urgence écologique ne manquent pas, il reste que les programmes omettent de nombreuses questions. Certaines émissions de gaz à effet de serre n’attirent pas l’attention des candidats : il s’agit des émissions importées, dues à la production et au transport des biens importés ou des émissions de méthane, le deuxième gaz à effet de serre après le carbone.

De même, alors que l’adaptation au réchauffement climatique est un axe majeur souligné par le dernier rapport du GIEC, et que la majorité des Français sont déjà touchés par les conséquences des évènements naturels dus au changement climatique, les programmes se concentrent exclusivement sur la mitigation.

Par ailleurs, à l’exception des programmes de Y. Jadot et J-.L. Mélenchon, les liens entre la crise écologique et les inégalités sociales, très présents lors des marches pour le climat et dans le dernier rapport du GIEC ne sont presque jamais développés, tout comme la question des migrations climatiques.

Enfin, les programmes sont peu diserts sur les alliances internationales qu’il conviendrait de bâtir pour accélérer la transition écologique. Mais les proximités affichées par certains candidats, d’extrême droite notamment, avec des dirigeants que l’on peut sans risque qualifier d’écocidaires, comme Jair Bolsonaro laissent peu de doutes sur la réalité de leurs engagements par ailleurs. Du point de vue des relations internationales, M. Le Pen et E. Zemmour se situent dans le camp anti-environnemental.

Dans l’ensemble, l’impression laissée à la lecture des programmes est celle d’une grande confiance dans les innovations et la croissance économique pour régler le défi écologique, ainsi que la volonté de ne pas agir trop prestement sur la question environnementale.

La plupart des promesses se situent dans la continuité des actions déjà mises en place par l’UE ou par le gouvernement français. Cette continuité peut être rassurante : il n’est ni efficace ni dans l’intérêt national de bouleverser les politiques environnementales tous les cinq ans, surtout quand la majorité de la population française se méfie de la compétence du gouvernement pour gérer la question environnementale. Connaissant la gravité de la crise en cours et à venir, cette inertie des institutions et de la vie politique française peut susciter quelque inquiétude.

Quinze ans après le Grenelle de l’environnement, la visibilité des questions écologiques s’est accrue, mais le niveau de généralité et de wishful thinking est resté étonnamment stable. Les rares candidats, à gauche de l’échiquier politique qui marquent leur volonté de rompre avec le productivisme n’ont pas réussi à imposer ce conflit ou des propositions environnementales marquantes dans le débat public, pour des raisons liées à leur division qui a entraîné l’éparpillement des citoyens les plus soucieux du climat. Il y avait pourtant urgence.

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Par Simon Persico, Professeur des Universités en science politique, Université Grenoble Alpes (UGA) et Esther Hathaway, Doctorante, laboratoire Pactte, Université Grenoble Alpes (UGA).

Esther Hatawhay est doctorante en science politique, Pacte, Sciences Po Grenoble sous la direction de Simon Persico. Cet article a été co-publié dans le cadre du partenariat avec Poliverse créé par une équipe de chercheurs et qui propose des éclairages sur le fonctionnement et le déroulement de la présidentielle.

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