Croissance : Les risques d’une stagnation de l’activité
PHILIPPE WAECHTER- Non, cette hausse est commune à beaucoup de pays européens. En zone euro, l’Italie, l’Espagne ou l’Allemagne ont également enregistré une accélération significative de l’inflation au mois de mars. Cette accélération résulte en grande partie de la hausse très marquée des prix de l’énergie. Dans le détail, on voit que le prix de l’énergie a encore fortement progressé en mars. La France est néanmoins légèrement en retrait par rapport aux autres pays en raison du bouclier énergétique du gouvernement qui protège.
Selon l’Insee, ce bouclier permet de limiter l’inflation d’environ 1,5%. C’est un facteur qui à court terme joue favorablement. Il joue moins sur l’essence que sur le gaz ou l’électricité. Depuis l’entrée en guerre de la Russie en Ukraine, les prix de l’énergie ont fortement progressé. Les chiffres du mois de mars marquent une hausse entre 60% et 100% par rapport à la moyenne de 2021. C’est une hausse assez brutale.
À quoi peut-on s’attendre dans les prochaines semaines ?
On ne peut pas faire l’hypothèse que les prix de l’énergie vont se réduire spontanément. À l’échelle de la zone euro, si le prix du baril est maintenu à 102 euros comme au mois de mars tout au long de l’année 2022, la contribution de l’énergie à l’inflation sera très forte au cours des prochains mois.
Sur la zone euro, la contribution de l’énergie en fin d’année serait de l’ordre de 2%. Il reste beaucoup d’incertitudes sur le plan diplomatique et la stratégie de l’Europe sur le gaz russe.
Le choc sur les prix de l’énergie peut-il entraîner une récession en Europe et en France ?
Si on replace le choc énergétique actuel dans une perspective historique, le prix du baril de pétrole est à un niveau très élevé. Le prix du baril en euros constants est bien plus élevé que lors des deux chocs pétroliers des années 70. Lorsqu’il y a un choc énergétique liée à une accélération brutale du prix de l’énergie, il y a une récession généralement derrière. Ce choc énergétique oblige tous les acteurs économiques à arbitrer dans leurs dépenses. Les ménages doivent faire des choix entre les carburants et d’autres biens. Ceux qui dépendent de la voiture vont être pénalisés dans leur consommation. Les entreprises sont contraintes de payer leur énergie plus cher. Cela les oblige à faire des choix. Cette situation modifie l’allocation des ressources. C’est un facteur de déstabilisation de la conjoncture.
Par ailleurs, quand il y a une telle hausse des prix de l’énergie, les factures énergétiques s’accroissent de manière significative. Il y a un transfert de revenus vers les pays producteurs de pétrole. Ces revenus ne vont pas revenir spontanément. Les Européens sont obligés d’ajuster leur budget à cette facture pétrolière. La demande adressée aux entreprises est forcément plus réduite.
La probabilité de récession en 2022 est loin d’être négligeable en Europe et en France. Cela ne veut pas dire que l’activité va s’effondrer rapidement. La probabilité d’une activité proche de zéro en Europe et en France est loin d’être nulle. Le choc énergétique peut avoir un caractère systématique.
L’horizon économique considérablement assombri avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie complique la tâche de la BCE. Quelles sont les marges de manoeuvre de sa présidente Christine Lagarde ?
La Banque centrale européenne n’a pas beaucoup de marges de manoeuvre. Le principal objectif de la BCE reste l’inflation. Elle est actuellement à 7,5% au mois de mars en zone euro. Lorsque l’on examine les contributions des différents postes, l’énergie et l’alimentation contribuent à hauteur de 5,5%. La contribution de l’énergie et de l’alimentaire est bien supérieure à celles des biens et services. La BCE ne peut pas contrôler la production de pétrole ou de gaz. Cette situation est contraignante pour la BCE. Aux Etats-Unis, la contribution des biens et services à l’inflation est très élevée par rapport à celle de l’énergie. La Réserve fédérale peut agir plus facilement.
En Europe, agir sur les comportements, c’est prendre un risque d’agir sur l’activité sans peser sur l’inflation. Christine Lagarde veut peser sur l’inflation. La BCE va probablement monter ses taux en septembre et en décembre. Pour l’instant, son discours tend à montrer que l’inflation actuelle ne doit pas s’inscrire dans l’esprit de tous les acteurs de l’économie et que chacun n’intègre pas l’idée que l’inflation soit persistante. Elle doit durcir le ton pour éviter la persistance de l’inflation. Dans le même temps, elle a demandé aux gouvernements d’avoir des politiques accommodantes pour que la demande soit soutenue. Le plus grand drame pour les banques centrales est la persistance de l’inflation.
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