Couper la Russie du commerce juteux

Couper la Russie du commerce juteux

La rivalité qui opposa l’Angleterre à la France, de Louis XIV à Napoléon, fut aussi commerciale, et eut des conséquences économiques à long terme, rappelle Pierre-Cyrille Hautcœur, directeur d’études à l’EHESS, dans sa chronique au « Monde ».

Les ressources essentielles de la Russie sont surtout constituées par son commerce de charbon ,de gaz et de pétrole dont la plus grande partie est importée par l’Occident au prix du marché. Certes ces ressources pourront être commercialisées vers la Chine mais à des conditions financières moins  avantageuses. NDLR

 

Chronique.Les sanctions économiques mises en place contre l’économie russe n’ont fait l’objet que de très peu de réflexions préalables. Selon les activités touchées, et selon leur durée – aujourd’hui imprévisible mais potentiellement longue –, leurs effets peuvent s’avérer importants et très différents de ce que l’on imagine a priori. Un exemple historique permet de le comprendre.

Aux XVIIe et XVIIIe siècles, le mercantilisme fut moins une politique économique qu’un outil commercial au service des rivalités entre nations européennes. Au-delà des périodes de guerre – très fréquentes –, où les blocus des ports ennemis et l’arraisonnement des navires marchands par les flottes de guerre et les corsaires étaient une pratique courante, le protectionnisme (la taxation massive des importations) ou le monopole colonial (le commerce des denrées réservé aux commerçants de la métropole) visent à affaiblir les adversaires stratégiques.

La longue rivalité franco-anglaise qui dure au moins du règne de Louis XIV (de 1643 à 1715) à la bataille de Waterloo (1815), que l’on a qualifiée de « seconde guerre de cent ans », voit ces comportements revenir de manière récurrente. Le développement de la Royal Navy, qui représente une dépense considérable pour le gouvernement anglais, est au service d’une expansion tant commerciale que militaire, qui passe largement par l’appropriation « à main armée » du commerce et des colonies des autres puissances ; ainsi du Canada, perdu par la France à l’issue de la guerre de Sept Ans (1756-1763).

Comme l’a rappelé Guillaume Daudin, professeur à l’université Paris-Dauphine, lors d’une conférence à l’Ecole d’économie de Paris le 23 mars, l’objectif premier de l’Angleterre était d’affaiblir de manière permanente le commerce de son principal adversaire stratégique en Europe. Or, si durant les conflits armés, la supériorité navale réduisait, parfois significativement, les échanges maritimes français, ceux-ci reprenaient vigoureusement dès la paix revenue, de sorte que, au moins jusqu’à la Révolution, le commerce extérieur français croît tout aussi vite que l’anglais.

La stratégie britannique n’est donc pas tant de réduire temporairement ce commerce que d’amener les commerçants français à réorienter leur activité vers d’autres partenaires et d’autres produits. La France est ainsi écartée des produits les plus profitables du commerce international et doit procéder à des réallocations de ressources coûteuses, mais il n’est pas certain que cela soit un désavantage à long terme. Car le commerce français s’oriente alors plus vers le continent (Allemagne, Pays-Bas, Italie, Suisse) et vers la transformation à haute valeur ajoutée de matières premières nationales en produits de luxe.

 

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