Crise alimentaire : Suspendre le soutien aux biocarburants
La perte de la production agricole ukrainienne peut être en partie compensée en cessant de soutenir les biocarburants, dont le bénéfice climatique est beaucoup plus faible qu’espéré et qui ne réduisent pas notre dépendance énergétique, estiment, dans une tribune au « Monde », les économistes Christophe Gouel et David Laborde.
La guerre en Ukraine, par le risque direct qu’elle fait peser sur la production agricole ukrainienne, et ses conséquences sur les marchés de l’énergie et des fertilisants ont conduit à une flambée historique des prix agricoles. Cette situation menace la sécurité alimentaire de nombreux pays pauvres et pousse l’Union européenne (UE) à chercher des solutions pour assurer sa propre souveraineté alimentaire et limiter l’impact de la guerre sur les marchés mondiaux.
Ces solutions tournent toutes autour d’une augmentation de la production, et nous font courir le risque de revenir sur les maigres avancées environnementales en cours dans le secteur. De plus, même si nous parvenions à accroître notre production, cela ne pourrait se faire qu’au mieux à l’automne pour les cultures de printemps, et en admettant que des problèmes d’approvisionnement en engrais ne viennent pas les compromettre. En réalité, l’Europe a les moyens d’agir dès maintenant sur les marchés agricoles : en suspendant ses politiques en faveur des biocarburants produits à partir de matières premières à usage alimentaire.
Les biocarburants sont des substituts aux carburants fossiles produits à partir de produits végétaux (les céréales et plantes riches en sucre – comme la betterave sucrière – pour l’éthanol, qui se substitue à l’essence, et les huiles végétales pour le biodiesel) ou de déchets. Parce que les émissions de CO2 résultant de la combustion des biocarburants sont en partie compensées par le CO2 absorbé par les plantes durant leur croissance, les biocarburants ont été soutenus en Europe depuis 2003 comme un outil de lutte contre le changement climatique.
Cependant, leur contribution à la crise des prix agricoles de 2007-2008 – et, dans une certaine mesure, à celle de 2011 – avait entraîné un revirement de la politique européenne dans ce domaine dès 2013. Malheureusement, les lobbys, la mémoire courte de certains décideurs politiques et quelques années d’abondance sur les marchés agricoles nous ont fait oublier la fragilité du système alimentaire mondial.
En 2020, selon l’OCDE, plus de trente millions de tonnes de produits agricoles étaient converties en biocarburants en Europe – plus encore si l’on compte les biocarburants qui y sont importés. Ce chiffre est important si on le compare à la production ukrainienne en grande culture, qui représente, toujours selon l’OCDE, 100 millions de tonnes en additionnant blé, maïs, autres céréales, betterave, tournesol, soja et colza.
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