Guerre en Ukraine : Américains et européens trop timorés
Le diplomate Michel Duclos invite, dans une tribune au « Monde », la France et l’Union européenne à rapidement durcir leur stratégie à l’encontre de la Russie, car l’enlisement du conflit en Ukraine joue en faveur de Vladimir Poutine.
La réponse occidentale à l’agression russe en Ukraine a surpris par sa cohésion et sa force. Il faut se défier cependant d’une autocélébration qui risque de se révéler trompeuse. Ainsi, sur le plan militaire, les transferts d’armes opérés vers l’Ukraine s’accompagnent d’une retenue certaine. Le mantra reste d’éviter tout risque d’escalade et donc tout engagement direct sur le terrain. L’idée de « no fly zone » [zone d’exclusion aérienne] révulse toujours les stratèges occidentaux comme c’était le cas en Syrie. S’agissant des sanctions, on assiste à un crescendo impressionnant, mais les décisions les plus susceptibles d’impact sur la Russie (embargo sur le gaz et le pétrole) restent à prendre. Ce sont aussi les plus difficiles du fait de leurs conséquences pour nos sociétés.
Vu de Moscou, cela signifie que la plupart des gouvernements occidentaux ne sont pas prêts à demander des sacrifices à leurs populations pour la défense de leurs principes et la sauvegarde de la sécurité de leurs pays. Une autre limite à l’action des Occidentaux tient à la réaction dans le reste du monde : les résolutions des Nations unis blâmant la Russie sont votées à de larges majorités mais des puissances émergentes au poids important – l’Inde, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis entre autres – se refusent à contribuer à la politique occidentale d’isolement de la Russie.
Dans ces conditions, le dirigeant russe, soutenu de surcroît par son allié chinois, peut considérer que le temps joue en sa faveur. Plus le conflit se prolonge, en effet, plus les difficultés de mise en œuvre des mesures adoptées à l’Ouest vont se faire sentir, qu’il s’agisse de hausses des prix, de pénurie d’énergie, de ralentissement de l’économie. Plus aussi les germes de division vont se développer, comme on le voit déjà avec les tensions liées au refus allemand d’aller plus loin à ce stade dans l’embargo sur les hydrocarbures ou avec les critiques des Polonais à l’égard de Paris et Berlin. On peut objecter à cela que les coups portés par l’Occident ont un effet dévastateur sur l’économie russe. La Banque européenne pour la reconstruction et le développement prévoit par exemple un PIB de la Russie en baisse de 10 % en 2022. Il est à craindre toutefois que ce ne soit pas un critère pour Poutine, qui n’hésitera pas à imposer à son peuple tenu d’une main de fer les plus lourds sacrifices.
Ajoutons que dans l’état actuel des choses aucun scénario plausible de sortie de crise n’apparaît favorable aux intérêts occidentaux : un conflit prolongé sans vraie conclusion, une défaite ukrainienne confirmant le bien-fondé des calculs de Poutine, ou une forme de partition du pays dans laquelle les Russes s’assureraient au moins du contrôle des terres de l’Est les plus fertiles et du rivage de la mer d’Azov. Dans toutes ces hypothèses, il incombera aux Européens en particulier de reconstruire une Ukraine en ruine dans un environnement instable où la Russie restera menaçante.
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