Histoire et guerre : le retour de l’impensable ?

Histoire et guerre : le retour de l’impensable ?

 

Passivité, immédiateté, bruit médiatique, « vérités alternatives » … sont quelques-uns des facteurs qui nous empêchent de voir les retours tragiques de l’histoire estime, dans une tribune au « Monde », Alain Chouraqui, président de la Fondation du camp des Milles, pour qui tous les travaux sur la pensée de l’impensable doivent enseigner

 

Tribune.

 

Impensable, la guerre au cœur de l’Europe ! Impensable, l’évocation au plus haut niveau du recours à l’arme nucléaire ! Impensable, la démocratie européenne menacée de l’intérieur et de l’extérieur par l’extrémisme nationaliste, quatre-vingts ans après ses ravages monstrueux ! Impensable l’élection aux Etats-Unis d’un président menaçant l’Etat de droit ! Impensable, au XXIe siècle, des enfants assassinés dans leur école parce que juifs ! Impensable, le monde entier à l’arrêt, confiné par une nouvelle peste ! Impensable, la vie sur Terre menacée par le changement climatique !…

Et pourtant… Ne s’agit-il pas plutôt de faux impensables, de sujets qui auraient pu et dû être pensés, pour lesquels nous disposions d’éléments suffisants pour la réflexion, l’alerte et la prévention. Impensables ? N’est-ce pas une manière un peu facile de nous pardonner nous-mêmes la paresse de notre pensée, la tendance à fuir l’évidence gênante, et souvent l’oubli de notre expérience collective et la sous-estimation de ses fortes leçons ?

Ces faux impensables sont même parfois de faux impensés, car certains ont bien été analysés, mais gommés, niés, enfouis. Nous pourrions même dire que, à l’exception du changement climatique, nouveau à l’échelle humaine mais rapidement et bien documenté, tous les autres « impensables » ont été anticipés, pensés ou auraient pu l’être.

La crise des missiles de Cuba (1962) a été trop vite considérée comme appartenant à un monde disparu avec le rideau de fer. Et les leçons d’Auschwitz, étrangement inhibées par la dénonciation du point Godwin ou par le sentiment ambigu que l’on en parle trop, n’ont pas servi pour éviter le génocide au Rwanda (1994), ou les crimes de masse en Yougoslavie (1991-1995) ou au Cambodge (1975-1979). La guerre en Ukraine aussi était pensable, au nom du constat historique que « le nationalisme, c’est la guerre », et elle a d’ailleurs été pensée dans la logique des actions russes en Géorgie, en Crimée, dans le Donbass.

Quelle étrange attitude que de chaque fois écarter l’idée qu’un passé douloureux alors vraiment impensable puisse se reproduire ! Quel oubli rapide que la « der des ders » n’a attendu que vingt et un ans pour ne plus être la dernière guerre ! Ou que la violence antisémite n’est jamais loin puisqu’elle révèle ou annonce les failles récurrentes d’une société.

La tendance à ne pas voir les retours du tragique de l’histoire nous semble favorisée par le cumul de plusieurs facteurs, parmi lesquels quatre peuvent être soulignés :

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