Emmanuel Macron a peur de Marine le Pen et il a raison : cette fois, c’est différent, voici pourquoi ce n’est pas gagné.
par Philippe Mabille Rédacteur en chef de la Tribune
Et si Marine Le Pen devenait présidente de la République au bout de sa troisième tentative. On imagine le tweet de @SardineRuisseau : « Une femme à l’Elysée, le patriarcat, c’est fini ! » (compte parodique de Sandrine Rousseau, candidate à la primaire écolo). Le scénario, jusqu’ici improbable, commence à donner des sueurs froides dans la macronie, raconte Marc Endeweld dans sa chronique Politiscope de cette semaine. Au ministère de l’Intérieur, on s’affole en coulisses de la faiblesse des reports de voix en faveur du président sortant. Tout va se jouer sur l’abstention : si la jonction de la droite Trocadero (la partie Fillon-Ciotti de l’électorat de Pécresse) se fait avec l’extrême droite (Zemmour + Le Pen), Macron peut être battu, assure-t-on comme pour exorciser ce risque.
Les derniers jours de la campagne « officielle » qui a démarré lundi 28 mars vont donner du fil à retordre aux instituts de sondage, eux qui sont déjà en permanence accusés de « mentir » par les réseaux complotistes. La preuve : ils n’avaient pas prédit le 21 avril 2022, l’élimination de Lionel Jospin ! Que dira-t-on s’ils ne voient pas venir le croisement des courbes entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron. C’est oublier un peu vite qu’avant l’irruption d’Eric Zemmour dans le paysage, la présidente du Rassemblement national était déjà en tête des sondages du premier tour. Et que la possibilité de sa victoire en 2022 était prise au sérieux, y compris par Emmanuel Macron qui reconnaît en elle sa plus redoutable adversaire : certains Machiavel ont même vu sa main derrière le lancement de cette concurrence à l’extrême de la droite.
Si c’est le cas, le coup a échoué car bien au contraire la radicalité de Zemmour a recentré Marine en la faisant passer pour une victime. La primaire à droite a fait le reste en banalisant le discours sur l’immigration zéro jusqu’ici apanage du RN. Dans un tour de passe-passe inattendu, Marine le Pen a su s’inspirer du « en même temps » pour séduire un électorat plus large avec un programme économique hybride, un peu à gauche, en enfourchant le thème du pouvoir d’achat, un peu à droite, en se montrant réaliste sur l’Europe ou la dette, comme pour faire oublier que le programme du RN reste essentiellement d’extrême-droite.
On peut donc s’attendre à un branle-bas de combat dans la dernière semaine de campagne avant le premier tour du 10 avril. Emmanuel Macron est obligé de sortir du bois et de reprendre son combat contre le populisme. Mais il est comme paralysé par l’affaire McKinsey sur laquelle lui-même et les intéressés ont communiqué comme des manches, laissant prospérer le soupçon. C’est bien la peine d’être un expert du conseil en stratégie… Emmanuel Macron, comme lors de l’affaire Benalla (« s’ils cherchent un responsable, qu’ils viennent me chercher ») s’est planté en lançant un arrogant « qu’ils aillent au pénal ». Cela renvoie Macron à son image de banquier d’affaires hautain et distant, à l’inverse de l’image de président à l’écoute qu’il avait tenté de forger pendant le Grand Débat. De débat, il n’y en a pas eu et il n’y en aura pas, là a été son erreur. Ni sur le bilan, ni sur le récit de l’après, Macron n’a répondu présent. Un tort et un risque.
Le scénario Le Pen à l’Elysée n’est-il qu’un énième coup de com’ pour jouer à se faire peur et remobiliser un électorat centriste qui pense que l’élection est jouée ? Sans doute. Mais il y a aussi un troisième homme qui pointe son nez vers le second tour, Jean-Luc Mélenchon, à plus de 15%, en tentant de rassembler ce qui reste de la gauche éclatée vers un vote utile seul à même de déjouer le scénario d’une répétition du match de 2017. Pour l’instant, les bookmakers ne croient pas beaucoup à un second tour Mélenchon-Macron mais qui sait ? En cette année de surprises – qui aurait cru le 1er janvier que Poutine brandirait la menace nucléaire ? -, il faut se préparer à tout, même à la montée de la sixième vague de Covid.
Sur le front de la guerre en Ukraine, on a cru un instant seulement à une retraite en Russie des troupes de Poutine. Pendant les négociations, les bombardements continuent et le joueur d’échec du Kremlin a fini la semaine sur un chantage aux coupures de gaz s’il n’est pas payé en roubles qui met l’Europe en ébullition. Applicable au 1er avril, ce n’est pas un Poisson, mais « Bons baisers du Kremlin ». Mais pour ce faire, le président russe a dû créer une usine à gaz pour éviter une rupture des contrats en cours.
Un pas en avant deux en arrière, ce Poutine fait du Lénine version 2022. Et en Europe, on doit se préparer pour un scénario à la Mad Max, ce film (australien) où l’humanité se bat pour quelques gouttes d’essence. De fait, c’est un sale temps pour l’industrie automobile avec en France des ventes au plus bas depuis quarante ans.
Le titre auquel vous avez échappé cette semaine : « Gaz russe, Poutine souffle l’effroi ». Et ce n’est pas fini : comme l’écrit Robert Jules, à l’Opep+ comme à Washington, les barils de pétrole se politisent. A moins d’un accord hypothétique avec l’Iran, une alternative pas si évidente.
En fait, cette crise Russie-Ukraine n’a rien plus rien de régionale. Elle instille un virus mondial sur les chaînes de valeurs de la mondialisation via les hausses de prix. Avec ce nouvel ordre mondial, préparons nous à des pénuries mondiales. Pour l’instant, la France s’en sort mieux que ses voisins en termes d’inflation, grâce au nucléaire.
Évidemment, la réponse déjà évoquée partout de la sobriété énergétique est bonne, mais encore faut-il la rendre acceptable par tous. Le coup de froid de ce début avril montre bien notre vulnérabilité. Et se passer du gaz russe ne sera pas bon à court terme pour le climat, prévient Juliette Raynal : la guerre en Ukraine devrait conduire à un recours plus massif au charbon pour produire de l’électricité. Mais cette pratique, très émettrice de CO2 et donc néfaste pour le climat, pourrait être compensée par la chasse au gaspi, imposée par la hausse du prix des énergies fossiles. Les solutions d’énergie propre sont, elles, vouées à devenir plus compétitives…
La crise aura aussi des effets anti-écologiques, car tout va coûter plus cher, à l’image de la rénovation énergétique des bâtiments, souligne César Armand. Le secteur du BTP est plombé par les effets de la guerre. Quand le BTP ne va pas, en France, on connaît la suite. Le risque de stagflation a beau être contesté par Christine Lagarde, il reste au coin de la rue.
Autre enjeu majeur de la présidentielle vu le contexte international : l’armée française est-elle obsolète ? Combien de temps tiendraient nos forces face à un agresseur sur notre sol ? Pour quoi, au fond, sommes-nous prêts à nous battre ? Michel Cabirol, notre expert des industries de Défense, vous propose une série passionnante sur le vrai bilan de Florence Parly qui a passé presque un quinquennat au ministère des Armées. Tenue de la loi de programmation militaire, bon point. Coopérations industrielles avec l’Allemagne, qui se décide enfin à investir dans sa défense : bof-bof. Mais dans la suite de Jean-Yves Le Drian, Florence Parly a fait un carton à l’exportation, à coups de Rafale mais pas seulement.
Dans ce monde fou, on aurait pu espérer compter sur une plus grande solidarité européenne. Las, après avoir acheté des F-35 américains, nos « amis » allemands continuent de nous lâcher sur le spatial : l’Agence spatiale allemande (DLR) a validé sans état d’âme le lanceur américain Falcon 9 de SpaceX pour son satellite d’observation de la Terre. Une nouvelle trahison de l’Allemagne vis-à-vis de l’Europe, s’indigne Michel Cabirol.
Pendant la guerre, les affaires continuent : Vincent Bolloré a enfin fini, contre son gré, mais à bon prix, par céder ses activités logistiques en Afrique, qui lui ont valu beaucoup de fortune et pas mal d’ennuis : Léo Barnier nous raconte l’épilogue de la cession à l’italo-suisse MSC, bien connu d’Alexis Kohler, d’un des secteurs historiques du groupe Bolloré bicentenaire cette année. Mais s’il abandonne l’Afrique, reste à savoir ce que fera de ces 6 milliards d’euros d’argent frais celui que l’on n’a pas nommé pour rien « le petit prince du cash-flow »… Des cibles en vue dans la défense, paraît-il.
Pour finir en beauté, revivez le plus bel événement du mois de mars en France avec notre forum Think Tech et la cérémonie « 10.000 startups pour changer le monde » qui s’est tenue lundi 28 mars sur la scène du Grand Rex. Avec en invité exceptionnel Xavier Niel, qui nous a accordé un entretien-vérité dans le cadre du podcast « 40 Nuances de Next » et affirme que la France compte déjà plus de 30 licornes (plus de 1 milliard d’euros de valorisation). Une heure avec Xavier Niel, le fondateur de Free, de Station F et de l’Ecole 42 : à regarder sans modération samedi ou dimanche en préparant l’apéro. Découvrez aussi les 10 lauréats de la sélection des plus belles startups de nos régions, et les 51 finalistes de notre concours. Un exemple : Stirruup, le Airbnb solidaire de l’hébergement d’urgence. Utile en cette terrible guerre en Ukraine.
Enfin, si vous vous ennuyez par ce froid printanier, offrez-vous un peu de binge watching sous la couette avec cet article de Sylvain Rolland qui nous explique pourquoi les nouvelles séries américaines s’inspirent toutes de… la Silicon Valley. « Super Pumped » sur la chute du CEO d’Uber Travis Kalanick, « Wecrashed » sur le couple Neumann à l’origine du succès puis de la débâcle de WeWork, et « The dropout » sur l’extraordinaire arnaque Theranos menée par Elizabeth Holmes, la première femme milliardaire de la tech. Alors que deux nouvelles séries sont annoncées sur Facebook, les dirigeants charismatiques et controversés de la Silicon Valley n’en finissent pas de fasciner Hollywood en pleine guerre du streaming.
En attendant la première série sur la guerre en Ukraine.
Philippe Mabille, Directeur de la rédaction
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