Critique du Wokisme: de l’anti-américanisme ?
La rhétorique conservatrice désignant les idées « woke » comme un produit de l’américanisation du monde traduit une angoisse face à des formes démocratiques inédites revendiquées par une jeunesse sensible à de nouvelles problématiques sociétales, observe, dans une tribune au « Monde », l’universitaire Alix Ricau.
Article intéressant mais on ne saurait réduire le wokisme à un nouvel anti américanisme pas davantage que sa critique à une rhétorique conservatrice. Ne pas confondre non plus les aspirations démocratiques inédites de la jeunesse avec celle de bobos néo gauchistes .NDLR
Tribune.
Début février, une séquence de l’émission de télévision « Touche pas à mon poste ! », diffusée le 31 janvier, sur C8, véhiculant des propos transphobes fait scandale sur les réseaux sociaux.
L’objet du débat : un nouvel émoji enceint proposé par Apple. « Est-ce que vous vous rendez compte de l’importance des Etats-Unis et de la culture américaine aujourd’hui ? A cause des Américains, sur ton passeport, tu peux mettre “ni homme ni femme” ! », s’insurge Matthieu Delormeau. Gilles Verdez lui répond : « Mais c’est où, ces Etats-Unis ? »
On est en effet en droit de se le demander. Depuis plus d’un siècle, la menace de l’américanisation revient régulièrement agiter le débat public français. Aujourd’hui, ce sont les « woke », porteurs des luttes antiraciales, féministes et écologistes, qui sont régulièrement taxés d’américanisme. Mais pourquoi les Etats-Unis hantent-ils ainsi notre imaginaire national, alors même que l’on assiste à un déclin progressif de l’influence américaine dans le monde ?
Les paniques morales suscitées par l’introduction en Europe de produits culturels venus d’outre-Atlantique ne sont pas neuves.
A l’aube du XXe siècle, le succès des fictions populaires américaines fait scandale. Quelques années plus tard, c’est le cinéma qui est mis en cause. Viendront ensuite la bande dessinée et les jeux vidéo.
En 1906 comme dans les années 2000, on dénonce des contenus violents et de mauvaise qualité. On pointe du doigt leur incompatibilité avec les normes culturelles européennes. Cette aversion prend racine dans un sentiment anti-américain vieux de plusieurs siècles, qui prend de l’ampleur au fil de la montée en puissance des Etats-Unis, et qui ressurgit, intact, dans les attaques contre le wokisme.
Dans un entretien accordé à France Culture, Brice Couturier, auteur de OK millennials !, (Editions de l’Observatoire, 2021), accuse ainsi les universitaires américains d’avoir « reconstitué bizarrement des savoirs » issus de la French Theory, et ce « sans avoir les bases intellectuelles » qui étaient celles des chercheurs français.
Une vision typiquement européenne, selon l’historien Rob Kroes : « Dans leur façon de percevoir l’histoire et la tradition, les Américains montrent un talent caractéristique pour la dissolution culturelle, mêlée à un non-conformisme ingénieux, que les observateurs européens comprennent comme une déficience culturelle. » (If You’ve Seen One, You’ve Seen the Mall. Europeans and American Mass Culture, University of Illinois Press, 1996, non traduit).
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