Crise économique : le retour des expédients

Crise économique : le retour des expédients

 

L’historienne Laure Quennouëlle-Corre rappelle, dans une tribune au « Monde », l’éventail de solutions qu’a utilisées l’Etat au XXe siècle pour faire face à des situations de crise.

 

Tribune. 

 

En période de guerre ou de crise internationale, l’Etat est souvent mis à contribution pour compenser la hausse de prix de produits de première nécessité, pour réorienter l’approvisionnement en matières premières et en financer le surcoût, ou encore pour soutenir les particuliers ou les entreprises en difficulté. En sus des dépenses militaires, les aides publiques aux entreprises et aux consommateurs ont un coût direct ou indirect, souvent financé par des procédés exceptionnels. Lors des conflits du siècle précédent, au sein de la classique alternative du recours à l’emprunt ou à l’impôt, expédients et innovations ont vu le jour. Rappelons-en quelques-uns, qui peuvent intéresser notre actualité.

 

En 1915, pour couvrir en urgence les dépenses d’une guerre qui s’avère plus longue et plus coûteuse que prévu, de nouveaux types d’emprunt sont lancés, faisant appel au patriotisme des citoyens. C’est un succès populaire : les bons de la défense nationale à 3, 6 ou 12 mois, à 5 % d’intérêt payable d’avance et exemptés d’impôts, séduisent beaucoup de foyers.

Mais en s’ajoutant aux prêts de la Banque de France et au recours massif à la planche à billets, cette dette à court terme, en augmentation continue, entraîne un surplus de liquidités et une forte inflation, qui finit par peser sur le change et conduit à la dévaluation de 80 % du franc en 1928. Cette chute augmente la dette détenue en monnaie étrangère, qui représente alors environ 17 % du total des dettes de guerre.

Pour éviter l’inflation monétaire, un schéma plus dirigiste est mis en place entre 1939 et 1944 : la monnaie émise pour financer les dépenses publiques – dont les frais d’occupation de l’armée allemande – retourne dans les caisses de l’Etat grâce à des bons du Trésor à très court terme : c’est ce qu’on appelle la « politique du circuit », qui pompe les liquidités injectées dans l’économie, mais n’est envisageable que dans une économie dirigée et fermée aux mouvements internationaux de capitaux.

De fait, ces politiques, qui ont tenté de contenir la hausse des prix, n’ont pu éviter une inflation à deux chiffres au sortir des deux conflits. La remise en ordre des finances publiques s’est étalée sur dix à quinze ans, d’ailleurs sans véritable politique d’austérité : la dette est résorbée grâce à une forte inflation, à une croissance soutenue et à une dépréciation de la monnaie. L’inflation a donc été à la fois la cause et l’effet de cette politique de fuite en avant.

Outre la dette, l’impôt est l’autre façon de faire face à des dépenses exceptionnelles. Mais la France a peu utilisé cette ressource pendant la première guerre mondiale (15 % des ressources) et la seconde (29 %). L’impôt sur le revenu, créé en 1914, est faiblement progressif, les taxes indirectes sont privilégiées. L’instauration de la taxation des entreprises sur les bénéfices de guerre à partir de 1916 a une faible rentabilité en raison de difficultés de recouvrement, alors qu’elle rapporte six fois plus aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne. La forte taxation des contribuables les plus aisés en 1948 est compensée par la possibilité de souscrire un emprunt d’Etat libératoire de l’impôt.

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