Russie: De très graves conséquences des sanctions (Coface)

Russie: De très graves conséquences des sanctions  (Coface)

 Dans un entretien à La Tribune, Bruno De Moura Fernandes, responsable de la recherche macroéconomique chez Coface, décrypte l’impact des sanctions occidentales contre la Russie sur l’économie russe mais aussi mondiale : inflation, banques, énergie, tensions sociales…, la guerre en Ukraine pourrait affecter durablement l’économie mondiale selon lui.

 

Bruno de Moura Fernandes économiste chez Coface. Le spécialiste de l’assurance-crédit alerte sur les risques économiques et sociaux de cette guerre d’ampleur. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE-  »La Russie est en train d’être débranchée progressivement du reste du monde, notamment sur le plan économique, et cela va avoir un impact extrêmement lourd », a affirmé le secrétaire d’Etat aux affaires européennes, Clément Beaune en début de semaine. Quel pourrait être l’impact global des sanctions décidées par les puissances occidentales ces derniers jours sur l’économie russe et l’économie mondiale ?

BRUNO DE MOURA DE FERNANDES- Il est difficile à ce stade de chiffrer l’impact global sur le produit intérieur brut (PIB) russe car les sanctions sont encore en train d’évoluer et prennent diverses formes mais l’économie russe sera fortement impactée. L’Europe, le Royaume-Uni, les Etats-Unis, le Japon ont décidé de bloquer les réserves de la Banque centrale russe. C’est l’une des mesures phares car elle réduit les possibilités de la banque centrale russe de limiter l’impact des sanctions sur l’économie russe.

Cette guerre aura également un impact sur l’économie mondiale. Certains pays ont annoncé qu’ils arrêteraient les exportations de certains biens, notamment technologiques vers la Russie. Ces pays étant importateurs de produits intermédiaires, leurs fournisseurs seront également affectés. Les chaînes de production étant mondiales, les effets se répercutent in fine dans un grand nombre de pays.

Enfin concernant les matières premières, nous voyons déjà un renchérissement des prix et donc du coût de production pour les entreprises. Les cours du gaz et de l’énergie en général ont augmenté. La hausse du prix des céréales affecte à la fois le consommateur et les éleveurs ou encore ceux qui font de la transformation. L’inflation en Europe s’accélère notamment en raison de la hausse des prix des matières premières. Cette hausse de l’inflation entraîne une baisse du pouvoir d’achat pour les consommateurs et une moindre consommation. Enfin, l’incertitude actuelle peut avoir des effets sur l’investissement. Chaque nouvelle sanction aura des répercussions sur l’activité alors même que pour l’instant, la Russie n’a pas encore annoncé de mesures de réciprocité.

 

Le rouble s’est effondré ce lundi et la Banque centrale russe a augmenté son taux directeur de 10 points. La Banque centrale russe a-t-elle encore des munitions pour faire face à l’inflation galopante ? La Russie peut-elle compenser les dégâts infligés par ces mesures ?

La situation est très compliquée pour la Banque centrale russe. Elle dispose d’importantes réserves en devises étrangères de l’ordre de 640 milliards de dollars mais selon les estimations de l’Union européenne, près de la moitié de ces réserves sont à l’étranger et donc actuellement bloquées. Cela limite leurs utilisations. En outre, une grande partie des réserves repose sur l’or qui n’est pas très liquide et dont une vente massive risquerait de faire chuter le cours. Une interrogation concerne aussi l’appui de la Chine : Pékin va-t-il fournir des liquidités à la Russie ? La Banque centrale russe a deux options : la première constitue à relever les taux ce qu’elle a fait. La deuxième solution pourrait être de contrôler les capitaux mais cela peut affecter lourdement l’activité.

 

L’exclusion du système de messagerie Swift de certaines banques russes a déjà plongé plusieurs établissements dans la faillite en Europe. Le système bancaire européen est-il grandement exposé en Russie ?

Certaines banques européennes pourraient pâtir de la situation car elles ont soit des filiales en local soit des expositions non négligeables. Mais le système européen est solide et à ce stade nous ne voyons pas le risque financier comme un des risques les plus importants pour l’Europe.

 

Sur le plan énergétique, l’Europe reste très dépendante du gaz russe. Cela ne pourrait-il pas limiter les conséquences des sanctions surtout que l’énergie bénéficie de certaines exemptions sur les sanctions ?

L’enjeu pour les Etats européens est de sanctionner efficacement la Russie sans se mettre trop en difficulté notamment sur les problématiques énergétiques. La Russie représente environ 50% des importations de gaz de l’Allemagne et de l’Italie. Il faut donc éviter une envolée des prix du gaz ou encore des problèmes d’approvisionnement. Toute la difficulté est de trouver un juste milieu sachant que la Russie devrait avoir intérêt à continuer d’exporter du gaz ou du pétrole pour enregistrer des entrées de devises.

 

Du côté européen, les milieux économiques et financiers s’inquiètent d’un prolongement et d’une possible intensification du conflit en Ukraine. Quelles pourraient être les répercussions d’une telle guerre à court terme sur l’économie européenne ? Face à toutes ces incertitudes, que peut faire la Banque centrale européenne (BCE) ?

Lors de la réunion du 10 mars prochain, la BCE fera face à un dilemme important. Faut-il remonter les taux et retirer le soutien monétaire afin de freiner une inflation accentuée par la hausse des prix des matières premières si les marchés sont extrêmement tendus et l’activité marque le pas ? Les marchés anticipent désormais une position attentiste de la BCE même s’il y a différents courants de pensée au sein des gouverneurs. La BCE pourrait décider de soutenir l’économie et de garantir une stabilité financière en maintenant un programme d’achats d’actifs et en ne remontant pas les taux rapidement. Il faudra rester attentif et observer comment évolue la situation dans les prochains jours.

Dans votre dernier baromètre dévoilé juste avant le déclenchement du conflit, vous évoquez un prolongement des perturbations sur les chaînes d’approvisionnement. Dans quelle mesure ce conflit risque-t-il d’amplifier ces difficultés en zone euro ?

Dans ce baromètre, nous tablions sur un prolongement pendant encore quelques mois des difficultés d’approvisionnement mais nous reconnaissions que ces difficultés avaient atteint un pic. Elles auraient dû diminuer progressivement pour se résorber d’ici à la fin de l’année dans la plupart des secteurs. Avec ce conflit, certains flux vers ou depuis la Russie vont être stoppés ou contrôlés. La Russie occupe une place stratégique mondiale dans la production de certains métaux comme le palladium, l’aluminium, le nickel ou encore le cuivre. On peut donc désormais s’attendre à plus de tensions sur ces métaux. De manière générale, cette situation va aggraver les difficultés sur les chaînes d’approvisionnement et avoir des répercussions négatives sur l’économie mondiale.

 

Dans le baromètre, vous rappelez également qu’il y a de vrais risques de tensions sociales dans le contexte de la pandémie. Comment ce conflit peut-il exacerber ces pressions sociales ?

La pandémie liée au Covid a exacerbé les pressions sociales en générant des inégalités et des frustrations. La hausse de l’inflation liée à la situation russo-ukrainienne va accentuer les tensions. Rappelons que la Russie et l’Ukraine sont des producteurs importants de céréales et que des fortes pressions sociales ont déjà eu lieu par exemple au Kenya ou au Malawi en raison de la hausse des prix de l’alimentation. Plus les prix de l’énergie et de l’alimentaire sont affectés, plus le risque des tensions sociales est important car cela entraîne mécaniquement une hausse de la pauvreté et des inégalités.

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