L’incompatibilité entre science et démocratie ?
L’ancien délégué interministériel au développement durable Christian Brodhag plaide, dans une tribune au « Monde », en faveur d’institutions associant les citoyens à la construction de politiques basées sur une connaissance scientifique acceptée.
Tribune.
L’offre politique et le débat de la campagne présidentielle semblent, pour l’instant, se réduire à un marketing politique qui conduit les candidats à formuler des propositions visant spécifiquement chacun des segments de la population.
Or, la somme des intérêts particuliers n’est pas l’intérêt collectif. Faire société dépasse les échelles catégorielle et individuelle. En société, la liberté individuelle repose aussi sur des règles collectives et des institutions qui organisent les droits et les devoirs des citoyens. Faire société au niveau de la nation repose sur la confiance dans les institutions et sur l’usage de règles collectives acceptées.
Le débat sur les institutions est aujourd’hui dominé, au mieux, par des revendications de participation plus démocratique, au pire par la dévalorisation des élus et de la démocratie représentative elle-même. L’insoumission et la contestation du « système » rallient les électeurs vers les partis extrêmes.
L’économiste et sociologue allemand Max Weber (1864-1920) distinguait, il y a un siècle, trois sources de légitimité : deux modèles archaïques, les pouvoirs traditionnel et charismatique, remplacés historiquement par le modèle rationnel légal, qui appuie l’élaboration du droit sur les institutions sociales et politiques.
Or, les deux modèles archaïques reviennent en force. Le pouvoir traditionnel prend aujourd’hui la forme de revendications religieuses solidement installées dans les Etats religieux. Le pouvoir charismatique prend la forme de leaders tribuniciens en prise directe avec le peuple, via notamment les réseaux sociaux. Les « démocratures » tiennent lieu de modèles alternatifs, au niveau mondial.
En s’incarnant dans la bureaucratie et la technocratie, le modèle « rationnel légal » n’a pas tenu ses promesses. En s’éloignant du peuple, il a perdu sa légitimité. L’Etat n’est plus ce Léviathan qui possède et contrôle toutes les informations. L’information et les connaissances sont désormais partagées. Le numérique et les réseaux sociaux contribuent à la décrédibilisation des institutions, et même de la réalité au profit de vérités alternatives.
Il est donc aujourd’hui nécessaire d’actualiser et de dépasser le modèle rationnel légal, si l’on veut sauver la démocratie. Les transitions écologique et numérique sont des défis nouveaux pour les institutions et les règles sociales, parce qu’elles les transforment en profondeur. En effet, elles ne touchent pas directement les règles elles-mêmes, mais les connaissances qui fondent ces règles, et celles qui orientent les comportements des acteurs et des institutions.
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