Ukraine: Un refus du régime kleptocratique russe
L’historienne et journaliste américaine Anne Applebaum ne croit pas que les sanctions suffiront à stopper Vladimir Poutine. Dans un entretien au « Monde », elle souligne que le combat des Ukrainiens est tout autant pour la défense de leur nation que pour la démocratie.
Anne Applebaum est une journaliste et historienne américaine, spécialiste de l’Europe centrale et orientale. Chercheuse en études internationales à l’université Johns-Hopkins (Maryland), elle est reporter au mensuel The Atlantic. Elle a travaillé pour de nombreux titres de la presse anglo-saxonne, dont The Economist en tant que correspondante à Varsovie. Anne Applebaum a ainsi couvert l’effondrement du communisme, puis l’essor de la société démocratique dans l’ancien bloc de l’Est. Historienne incontournable de l’ex-URSS, elle est notamment l’autrice de Rideau de fer, l’Europe de l’Est écrasée 1944-1956 (Grasset, 2014) et de Famine rouge (Grasset, 2019), qui revient sur la pénurie alimentaire organisée par Staline en Ukraine. Son ouvrage le plus récent est Démocraties en déclin (Grasset, 2021).
Comment expliquez-vous ce retour de la guerre en Europe, depuis l’invasion de l’Ukraine par les troupes envoyées par le président russe Vladimir Poutine ?
Pendant une dizaine d’années, nous n’avons pas voulu voir quel type de régime sévissait en Russie. Nous avons refusé d’admettre que Poutine était en guerre contre l’Occident. Nous voyons aujourd’hui où nous a conduits ce déni. Le président russe considère les démocraties occidentales comme une menace existentielle, non à cause des armes de l’OTAN, mais parce qu’il redoute les effets des idéaux de liberté sur son régime. Il a envahi l’Ukraine parce que ce pays ne veut pas de son modèle d’autocratie kleptocratique. Poutine ne peut pas accepter de voir un proche voisin, une ancienne colonie russe, devenir une démocratie. La volonté des Ukrainiens d’intégrer le monde occidental est pour lui un affront personnel.
Vous dites que l’Occident n’a pas voulu voir qu’une guerre était engagée. Pouvez-vous revenir sur les principaux moments de ce conflit ?
Dès les années 1990, nous n’avons pas pris conscience du risque qui s’installait. Nous avons, par exemple, autorisé les oligarques russes, c’est-à-dire des hommes qui ont volé l’Etat russe, à blanchir leur argent en Occident. Nos institutions financières les ont accueillis à bras ouverts. Nous avons, à ce titre, participé à la mise en place d’un régime kleptocratique en Russie. Nous n’avons pas pris au sérieux la volonté du Kremlin de subvertir nos démocraties, que ce soit par la désinformation ou par le soutien financier accordé à des partis d’extrême droite antiatlantistes et eurosceptiques. Moscou a pu également s’acheter de l’influence en nommant au conseil d’administration de sociétés proches du pouvoir d’anciens dirigeants politiques français ou allemands. En Grande-Bretagne, un milliardaire russe a fait son entrée à la Chambre des lords grâce au soutien de Boris Johnson.
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