Corse: le choc Colonna
Une semaine d’émeutes dans l’île aura permis d’obtenir ce que sept années de victoires électorales des nationalistes n’ont pas su concrétiser, analyse le professeur de science politique Xavier Crettiez, dans une tribune au « Monde ».
Tribune.
Avec la mort d’Yvan Colonna, victime de la fureur islamiste et, pour certains, de l’inaction d’un Etat qui se voulait protecteur de ses prisonniers « particulièrement signalés », la Corse risque de renouer avec la violence émeutière qu’elle a connue ces dernières semaines. Le temps du deuil retardera la mèche de la colère, mais nul doute que les plus radicaux célébreront sa mémoire.
Le parcours mémoriel d’Yvan Colonna a été fluctuant : figure dérangeante, après l’assassinat du préfet Erignac en 1998, pour une famille nationaliste dépassée par le choc de l’événement, il sera, au moment de son procès et de la confrontation avec ses acolytes, une figure ambiguë de la « résistance corse » en refusant d’assumer la responsabilité de son engagement militant.
Après son agression dans la prison d’Arles, il acquiert le double statut de victime du terrorisme aveugle, incarné par son agresseur salafo-djihadiste, et de victime d’une politique pénitentiaire d’Etat peu soucieuse de la sécurité de ses incarcérés. Enfin, sa mort, qui survient après un long coma observé par les médias, lui offre ce statut de martyr d’une jeunesse en mal de référents contestataires visibles, à l’heure où les cagoules sont rangées.
Traçons quatre lignes d’explications pour comprendre cette résurgence, passée et probablement à venir, de la violence identitaire dans l’île, qui, paradoxe étonnant, se « continentalise », abandonnant le répertoire classique des explosifs clandestins pour celui de l’émeute urbaine, façon black bloc.
L’agression – avant le décès – du plus célèbre détenu corse dans sa prison d’Arles a constitué ce que les sociologues qualifient de « choc moral », compris comme un événement aux retombées émotionnelles puissantes, qui est venu réactiver le sentiment d’injustice tant répandu dans l’île lorsqu’il s’agit de penser son rapport à l’Etat. Injustice mais aussi acharnement, puisque la demande de levée du statut de DPS (« détenu particulièrement signalé ») est ancienne mais toujours refusée, au motif que dans les prisons continentales adaptées la surveillance serait meilleure. La violente agression subie vient remettre en cause la parole légale et instiller le poison du doute sur la volonté de protection des détenus nationalistes. La figure de l’agresseur, un terroriste salafo-djihadiste jugé très dangereux, ajoute au scandale et vient offrir au militant corse une forme d’absolution aux yeux de beaucoup : lorsque le « terroriste » insulaire est victime du terrorisme total des fous de Dieu, il devient martyr.
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