Berlin doit assurer son rôle de défense
L’invasion russe de l’Ukraine a propulsé l’Allemagne dans une nouvelle ère, avec un changement radical de sa politique de sécurité, analysent les deux chercheurs. Claudia Major et Christian Mölling soulignent que sa mise en œuvre implique une profonde transformation des mentalités.
D’une certaine manière Berlin doit sortir de son rôle de fait de non-aligné eu égard d’une part à son poids politique , d’autre part aussi à l’importance de son industrie militaire; Sans parler évidemment de sa propre sécurité. NDLR
Tribune.
Le 27 février, une révolution s’est produite au Bundestag. En trente minutes, le chancelier Olaf Scholz a balayé toutes les certitudes qui structurent la politique de sécurité allemande depuis trente ans. Jusque-là, l’Allemagne ne s’était pas sentie directement menacée et ne s’était donc que peu engagée militairement. Lorsqu’elle l’a fait, sur le flanc est de l’OTAN ou au Mali, c’était en grande partie par solidarité avec ses alliés de l’Alliance atlantique et la France. Mais elle ne se sentait pas vraiment concernée.
Le budget de la défense a certes augmenté depuis l’annexion de la Crimée, en 2014, passant de 33 milliards à 50 milliards entre 2013 et 2021. Néanmoins l’Allemagne reste loin des 2 % de son PIB promis à l’OTAN (contrairement à la France, avec son budget militaire d’environ 41 milliards d’euros). La Bundeswehr reste sous-équipée et le système d’acquisition des armements fonctionne mal.
Surtout, les questions de défense restent controversées et n’intéressent guère l’opinion publique et le monde politique allemands. La dissuasion nucléaire est largement rejetée et l’existence même de l’armée est critiquée. Dans le même temps, les missions humanitaires et la gestion civile des crises sont vantées comme instruments politiques. L’opinion publique allemande reste majoritairement pacifiste et les partis politiques sont restés, jusqu’à récemment, plutôt favorables à la Russie, à l’exception notable des Verts. Il est ainsi compréhensible que l’Allemagne, jusqu’à l’invasion russe, ait refusé de livrer des armes à l’Ukraine, ait misé sur la diplomatie et n’ait pas voulu mettre en péril ses relations économiques avec la Russie. Mais la guerre contre l’Ukraine a tout changé.
Ce n’est qu’en février 2022 que Berlin a compris que cette guerre, qui se déroule à un peu plus de 1 000 km de Berlin – presque aussi près que Paris –, est également une attaque contre son propre modèle de vie. Cette fois, il ne s’agit plus d’une simple attaque contre ses voisins : il s’agit de l’Allemagne elle-même et de sa survie. Aucune des crises précédentes n’a pu générer ce sentiment : ni la barbarie en Syrie, ni la première invasion de l’Ukraine en 2014, ni les attaques terroristes.Le chancelier a utilisé le terme de Zeitenwende (changement d’époque) qui acte une rupture fondamental : l’Allemagne n’observe pas, désormais elle « ressent » la menace pour elle-même et la souffrance des autres (les réfugiés arrivent en grand nombre à la gare centrale de Berlin). Toutes deux sont causées par l’attaque de la Russie, ce pays auprès duquel Berlin a une si grande dette historique, puisque l’Allemagne nazie a tué des millions de citoyens soviétiques.
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