- Un défi environnemental et démographique
Un papier de l’Opinion souligne le double défi relatif d’une part aux aspects écologiques d’autre part aux dimensions démographiques. Des objectifs qui n’ont pas de lien apparent mais qu’il faudra faire converger compte tenu de leur caractère d’urgence Les transitions écologique et démographique seront le grand chantier des prochaines décennies. Il y a urgence, pour atteindre les objectifs de décarbonation et affronter la vague inexorable du vieillissement. L’occasion de penser ensemble ces deux gros changements et de faire converger les politiques publiques
L’horloge tourne et les ambitions françaises de décarbonation patinent. Dans son rapport de juillet 2021, le Haut Conseil pour le Climat estimait que « les efforts actuels sont insuffisants pour garantir l’atteinte des objectifs de 2030 ». Rappelons que la Loi européenne sur le Climat fixe des objectifs ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) : -55% d’ici 2030, par rapport aux niveaux de 1990, et la neutralité carbone à l’horizon 2050. Mais la France n’est pas sur la bonne trajectoire. « Le rythme actuel de réduction annuelle devra doubler, pour atteindre 3,3% sur la période 2024-2028 » anticipe le Haut Conseil.
Certes, on note des avancées. Dans l’industrie, l’agriculture, la transformation d’énergie, les émissions de GES sont en recul de 41%, 9% et 46% depuis 1990. De même, après avoir longtemps stagné, les rejets des bâtiments (17% des émissions), décrochent enfin depuis 2015. Seul point noir, les transports, qui restent le principal émetteur de GES (31%). Leurs émissions sont en hausse constante, et si le Haut Conseil enregistre une décrue timide depuis 2015, il les juge toujours « hors de contrôle ».
La lutte contre le réchauffement climatique – la France doit diviser par six ses émissions par rapport aux niveaux de 1990 pour atteindre la neutralité carbone – est donc loin d’être gagnée. D’autant qu’elle se double d’un autre enjeu, planétaire lui aussi mais particulièrement aigu dans nos contrées européennes. Comment affronter l’hiver démographique qui s’annonce ? Dans l’immense majorité des pays développés, nous allons assister à un vieillissement brutal ainsi qu’à un effondrement rapide du nombre d’habitants. En 2050, la population de l’Union européenne sera passée de 517 à 473 millions de personnes. Seuls trois pays, l’Irlande, Le Royaume-Uni et la France, à la fécondité dynamique, verront leur population augmenter. Une bonne nouvelle qui, cependant, n’empêchera pas l’altération profonde de la structure des populations. En France, entre 2020 et 2030, le nombre de 75-84 ans passera de 4,1 à 6,1 millions, soit une hausse de 49%. Logiquement, le nombre des plus de 85 ans explosera à partir de 2030, avec une hausse de 58% jusqu’en 2040. Autre chiffre qui donne le vertige : en 150 ans, de 1920 à 2070, le rapport entre les 20-64 ans et les plus de 65 ans sera passé de 6,4 à 1,7.
« D’un côté, vous avez le vieillissement de la population qui est encore pré-analysé comme un risque alors que c’est une réalité, de l’autre vous avez la transition climatique, qui fonde tout le reste en cascade, avec l’obligation de changer les modes de consommation et de décarboner l’économie »
La question du vieillissement doit être traitée « avec plus de hauteur », plaide un spécialiste du grand âge qui estime que « la transition démographique fait partie des quatre grandes transitions mondiales qu’il faut aborder de front. À l’instar des mutations environnementales, numérique et démocratique, elle doit être traitée à l’aune du bouleversement qu’elle suscite ». « Il y a un point commun entre les transitions démographique et écologique, c’est le déni, abonde Laure de la Bretèche, directrice des politiques sociales à la Caisse des Dépôts et Consignations et Présidente d’Arpavie. Déni de la parole des scientifiques du côté écologique. Déni de l’évidence des évolutions démographiques, calculées depuis trente ans ».
Et celle-ci de souligner la convergence profonde qui lie ces deux thématiques : « D’un côté, vous avez le vieillissement de la population qui est encore pré-analysé comme un risque alors que c’est une réalité, de l’autre vous avez la transition climatique, qui fonde tout le reste en cascade, avec l’obligation de changer les modes de consommation et de décarboner l’économie », analyse-t-elle. « Quand vous avez des objectifs politiques, vous ne pouvez pas en avoir mille, donc si on veut gérer une priorité aussi énorme que celle de la transition énergétique, il faut que les autres soient compatibles et viennent s’ordonner autour d’elle ».
.Quelles sont les priorités justement ? A court terme, le vieillissement de la population concerne d’abord les 75-84 ans. Une population non dépendante qui n’est pas destinée à aller vivre en Ehpad. « Le premier défi de politique publique concerne les vieux fragiles mais valides », pointe un expert du vieillissement. Il comprend la rénovation énergétique et l’adaptation des logements, la refonte de l’urbanisme, ou encore la lutte contre l’isolement social. Le deuxième défi consiste à préparer l’afflux des plus de 85 ans à l’horizon 2030. « Il y a une double focale », distingue celui-ci. « S’occuper tout de suite des 75-84 ans et anticiper ce que sera l’explosion de la dépendance en 2030 ».
Le virage domiciliaire est au cœur de cette question. La quasi-totalité des personnes âgées souhaitent vivre chez elles le plus longtemps possible. Il faut donc aménager les logements pour leur garantir un confort thermique optimal et prévenir les risques de perte d’autonomie. La rénovation énergétique, pilotée par l’ANAH (Agence nationale de l’Habitat) dans le cadre du programme MaPrimeRénov’, est un chantier bien engagé. En 2021, 700 000 logements ont été rénovés, soit 200% de plus qu’en 2020. Avec seulement 23 000 logements adaptés à la perte d’autonomie, toujours sous l’égide de l’ANAH, force est de constater que la question du grand âge fait cependant figure de parent pauvre. « Il faut revoir l’ensemble des aides financières destinées à l’aménagement des logements des personnes âgées », plaide un fin connaisseur du sujet. Une solution ? la création de MaPrimeAdapt’ sur le modèle de MaPrimeRénov’. Les arbitrages ministériels ont été rendus et le dossier a obtenu le feu vert de l’exécutif… S’il devait être réélu, Emmanuel Macron l’a inclus dans son programme. Ce dispositif ne devrait donc pas voir le jour avant le deuxième semestre 2022.
« Arrêtons de rêver de la destruction des Ehpad pour faire autre chose à la place. Il faut utiliser l’existant, être frugal dans l’utilisation des terrains et proposer une amélioration fondamentale par le service et la connexion à la ville, dans des structures qui, jusque-là, étaient pensées comme des isolats »
Autre priorité immédiate, créer des villes bienveillantes. « Quand une personne âgée sort de chez elle, si c’est pour débarquer dans une jungle urbaine hostile, elle sera de facto assignée à résidence, avec un risque d’isolement social qui précipitera sa dépendance », avertit un spécialiste de la question des seniors. « Il faut des villes bienveillantes pour les seniors et la question du vieillissement a été récemment intégrée dans les programmes “Action Cœur de Ville” et “Petites Villes de Demain” que conduit l’ANCT (Agence Nationale de la Cohésion des Territoires) ». Au croisement des transitions écologique et démographique, on redécouvre aussi le concept de la ville du quart d’heure, inventé par le franco-colombien Carlos Moreno. « Il y a un parallèle évident entre la ville écologique qui nécessite de disposer autour de soi de services sociaux, économiques et culturels indispensables, et la révolution de la longévité qui nécessite qu’une personne âgée puisse vivre au cœur d’un quartier, à proximité des commerces et de la vie sociale » relève un autre spécialiste du vieillissement.
La même logique doit guider la réflexion sur la place des établissements collectifs dans la ville. Pas question de tout casser. Qu’il s’agisse de solutions alternatives, comme les résidences autonomie ou les structures d’habitat partagé, ou des Ehpad eux-mêmes, il va falloir répondre rapidement à une demande exponentielle. « Arrêtons de rêver de la destruction des Ehpad pour faire autre chose à la place. Il faut utiliser l’existant, être frugal dans l’utilisation des terrains et proposer une amélioration fondamentale par le service et la connexion à la ville, dans des structures qui, jusque-là, étaient pensées comme des isolats, défend Laure de la Bretèche. Il y a un changement de culture dans la manière de faire habiter les personnes âgées, qui doit être profondément inscrit dans la feuille de route des architectes et des urbanistes ».
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