Les faiblesses de l’armée russe
Par Isabelle Facon , Directrice adjointe à la Fondation pour la recherche stratégique
L’invasion de l’Ukraine montre les faiblesses de l’outil militaire russe, malgré les efforts déployés par Vladimir Poutine pour convaincre de sa toute-puissance, analyse la spécialiste des politiques de sécurité et de défense russes dans une tribune au « Monde ».
Trois semaines après le début de sa guerre en Ukraine, l’armée russe est à la peine. Engagée sur la base d’une décision politique prise en comité bien trop restreint (la partie économique du gouvernement et même un certain nombre de membres du conseil de sécurité ont paru surpris de la tournure des événements), cette « opération militaire spéciale » se fonde sur une vision stratégique et politique déformée de la réalité ukrainienne qui a conduit à une planification pour le moins hasardeuse de l’intervention. Les biais d’analyse du Kremlin sur les dynamiques internes de cette ex-république soviétique sont perceptibles depuis des années. Le défaut d’expertise est, en outre, probablement aggravé par la distension des liens entre les élites des deux pays après l’annexion de la Crimée en 2014.
Confrontée à une résistance inattendue, tant de l’armée que de la population ukrainiennes, et subissant une importante usure de ses ressources humaines et matérielles, l’armée russe est bien loin de l’image qu’elle a projetée au cours des dix dernières années.
Vladimir Poutine n’a pas ménagé ses efforts pour amener l’opinion internationale à valider l’idée de la toute-puissance de son outil militaire, devenu un levier récurrent de sa politique étrangère. L’opération lancée en Syrie en 2015 lui a permis de modifier complètement la donne sur le terrain, tout en faisant la démonstration des performances de ses armements les plus récents, comme les missiles Kalibr et Kh-101.
Tout cela a fait oublier que l’armée russe, dont la réforme n’a été véritablement engagée qu’après 2008, partait de loin : dix à quinze ans de sous-financement conduisant à une attrition irréversible des capacités héritées de l’URSS.
La modernisation de l’outil militaire russe, bien réelle et accompagnée d’un vrai soutien budgétaire, n’a pu être que progressive et sélective – car si la Russie reste parmi les pays consacrant une part significative (environ 4 % par an en moyenne entre 2010 et 2020) de leur produit intérieur brut (PIB) à leurs dépenses de défense, la faiblesse relative de celui-ci se traduit par une contrainte financière persistante.
Certes, les nombreux exercices menés depuis le début des années 2010 ont permis d’améliorer la préparation opérationnelle de l’armée russe et de conforter sa réputation de machine militaire bien huilée. Mais l’emploi des forces en conditions réelles, dans un conflit majeur où il faut tenir beaucoup de terrain face à un adversaire mieux entraîné, mieux équipé et plus motivé qu’anticipé constitue un test de nature bien différente.
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