Guerre en Ukraine : du déjà-vu
Avec les bombardements russes en Ukraine et l’arrivée en masse des réfugiés, les mémoires de guerre refont surface chez les jeunes Polonais, témoigne dans une tribune au « Monde » Marta Szulkin, universitaire de Varsovie.
Tribune.
« Dis-moi, suis-je folle de préparer des plans d’évacuation ? » C’est la question que j’ai posée à un ami la semaine dernière, un survivant de la Shoah de troisième génération qui vit et travaille à Varsovie en Pologne, comme moi. « Tu sais, les juifs pessimistes ont fini à Hollywood, les juifs optimistes à Auschwitz », m’a-t-il répondu.
Cette conversation a eu lieu trois jours après l’invasion brutale de l’Ukraine par l’armée russe. Depuis lors, j’ai entendu la même question, et la même réponse, maintes fois dans des conversations avec des personnes jeunes et âgées vivant à Varsovie. Il est clair que je ne suis pas la seule à penser de la sorte. Ce qui est passé devient présent.
Le nouveau paysage géopolitique qui est en train de se construire en Ukraine et en Europe a transformé ma compréhension de l’héritage historique européen. Il va imprégner ma vie, celle de mes enfants et celle des citoyens polonais et européens dans les années à venir.
Je vois le désespoir et la douleur des Ukrainiens dans les médias et à travers les récits passés de bouche-à-oreille. J’écoute les récits d’amis et de collègues sur les abris antibombes avec Wi-Fi mais sans chauffage, les histoires d’évacuation et de files d’attente aux frontières, avec en lieu de bagage, un sac à main et un ami à quatre pattes dans les bras.
En l’espace de quelques jours, ma vision d’une évolution linéaire de nos sociétés vers le progrès et la prospérité, dépeinte par la civilisation et culture européenne comme le modèle de développement « par défaut », est changée pour toujours.
Elle est soudainement remplacée par l’image d’un piège historique, d’une remise à zéro constante vers des conflits brutaux, si souvent déjoués en Europe centrale, déchirée entre l’Est et l’Ouest au fil des siècles. Des histoires que j’ai toujours voulu garder comme un mauvais souvenir du XXe siècle. Après tout, on a tellement d’autres défis – comme les changements climatiques la transition énergétique ; l’idée d’une guerre en Europe me paraissant complètement obsolète.
Au cours des deux dernières semaines, 1,5 million de réfugiés Ukrainiens ont franchi la frontière polonaise. Bien qu’épuisés par le conflit politique qui a fracturé notre société au cours des six dernières années, les Polonais se sont mobilisés de manière impressionnante pour aider de toutes les manières possibles – en envoyant de la nourriture et des médicaments ; en offrant du transport aux frontières, en préparant des colis avec fournitures médicales, casques et gilets pare-balles ; en accueillant des réfugiés chez eux, et en distribuant de la nourriture aux frontières et dans les gares. En regardant ce conflit se dérouler sous nos yeux, la peur monte.
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