Repenser le rapport de l’Europe au Monde

Repenser le rapport de l’Europe au Monde (Josep Borrell)

 

Le haut représentant de l’Union de  la politique étrangère et de sécurité de l’Union européenne estime qu’il faut repenser les rapports de l’Europe au monde. (les « Echos »)

 

Pensez-vous que la pression internationale et les sanctions contre la Russie peuvent faire plier Vladimir Poutine et le contraindre à arrêter la guerre ?

Je pense que l’économie russe va souffrir très durement des sanctions que nous avons décidées et notamment de la diminution progressive des achats de gaz et de pétrole. Mais la guerre ne va pas s’arrêter du jour au lendemain…

Êtes-vous favorable à un embargo sur les achats de gaz russe, comme l’ont décidé les Etats-Unis et le Royaume-Uni ?

Ce serait certainement la meilleure façon de faire si on pouvait se passer du gaz russe. Nous allons viser une réduction nette de notre dépendance et de nos achats le plus vite possible. La Commission a proposé en début de semaine un plan qui prévoit de diminuer de deux tiers l’utilisation de gaz russe d’ici à la fin de l’année et il faut que tout le monde coopère. A titre d’exemple, une baisse du chauffage de 1 °C par les ménages représenterait une diminution de 7 % de notre consommation de gaz.

 

Comment expliquer cette forte dépendance de l’Europe au gaz russe ?

Depuis que la Russie a envahi la Crimée en 2014, nous n’avons pas cessé d’alerter les Européens sur cette dépendance. Or, elle s’est encore accrue ! On consomme beaucoup plus de gaz russe qu’en 2014 et l’Allemagne a construit un deuxième gazoduc pour augmenter ses livraisons.

La guerre en Ukraine aura-t-elle aussi des conséquences pour les économies européennes ? Êtes-vous favorable à un nouveau fonds européen pour compenser ces dommages ?

Avec cette guerre, l’économie européenne va subir un troisième choc asymétrique, c’est-à-dire qui va coûter aux uns plus qu’aux autres, après la crise de l’euro et la pandémie. Certains pays comme la Hongrie sont dépendants du gaz russe à presque 100 %, d’autres comme l’Espagne, très peu.

Et puis ce qui va coûter, c’est l’aide aux réfugiés. Il y en a déjà 2 millions et bientôt ce sera beaucoup plus et les plus touchés sont les frontaliers. Il peut donc être très utile de mutualiser ces coûts. La situation demande à nouveau une réponse collective, comme cela a été le cas pour la pandémie. Il va falloir faire face à une poussée des prix de l’énergie et des denrées alimentaires, notamment le blé et les engrais. Il se pourrait aussi qu’il y ait un choc social si l’inflation est trop élevée.

Pensez-vous que les dépenses d’armement doivent être incluses dans ce plan ?

Certaines dépenses d’armement pour l’Ukraine sont financées par les fonds européens. Quant aux dépenses d’armement nationales, elles seront financées par les Etats.

Plusieurs pays européens ont décidé d’accroître leur budget militaire, l’Allemagne notamment mais est-ce que cela suffit à parler d’Europe de la Défense ?

On ne va pas créer une armée européenne et faire disparaître les armées nationales comme on a fait avec l’euro ! Mais la France qui préside actuellement le Conseil de l’Union européenne défend l’idée que l’Europe ait une capacité défensive propre . Il ne s’agit pas de se substituer à l’Otan mais d’être complémentaire. Nous devons être interopérables, commander en commun, éviter les duplications, se doter des capacités qu’on n’a pas.

Il y a un énorme travail à faire pour optimiser les dépenses militaires en Europe car elles sont très éparpillées. Tous ensemble, nous consacrons à la défense environ trois fois plus que la Russie et autant que la Chine mais on ne peut pas dire qu’on est aussi efficaces.

L’Europe de la défense revient en fait à renforcer le pilier européen de l’Otan ?

L’Europe doit se doter d’une capacité de réagir, et pour cela il faut que les Etats membres européens de l’Otan fassent un apport plus important à l’Alliance atlantique qui reste le moyen fondamental de la défense territoriale de l’Europe. Mais il y a des occasions et des lieux où l’Otan n’interviendra pas et où les Européens doivent pouvoir le faire.

Quand au début des années 1990, il y a eu la guerre des Balkans où l’on a reproduit, à moindre échelle, les horreurs de la Seconde Guerre mondiale, les Européens n’avaient pas les moyens d’intervenir et ce sont les Etats-Unis qui l’ont fait via l’Otan. En Afrique, dans le Sahel, ce sont les Européens tous ensemble qui devraient être présents car l’Otan n’ira pas au Sahel .

 

Parce que la perception des menaces n’est pas la même selon qu’on est un pays balte ou un pays méditerranéen. Pour un Balte, c’est la menace russe qui occupe toutes vos préoccupations mais si vous vivez au Portugal, vous serez plus préoccupés par le risque migratoire et l’instabilité de l’Afrique qui vous touche plus directement. Si l’on veut construire une Union politique, nous devons cultiver une culture stratégique commune et cela prend du temps.

 

La menace russe était déjà bien présente, nos rapports s’étaient déjà beaucoup dégradés. On est entré dans un nouvel âge de nos rapports avec la Russie et cette guerre va marquer la politique européenne pendant longtemps. Elle va aussi servir d’accélérateur au réveil géopolitique de l’Europe. Il faudra notamment éliminer la dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie car elle est devenue une arme dans les mains de Moscou.

En cinquante ans, on a assisté à un véritable processus de désarmement de l’Europe. On a profité des dividendes de la paix pour développer notre Sécurité sociale.

En 1975, au moment des accords d’Helsinki sur la sécurité en Europe, les dépenses militaires des pays européens avoisinaient les 4 % de leur PIB. Aujourd’hui, ils sont autour de 1,5 % . En cinquante ans, on a assisté à un véritable processus de désarmement de l’Europe. On a profité des dividendes de la paix pour développer notre Sécurité sociale. Mais aujourd’hui l’Europe doit repenser ses rapports au monde. Elle s’est imaginé qu’en favorisant l’Etat de droit et en multipliant les accords commerciaux, le monde allait évoluer vers une sorte de paix universelle basée sur la démocratie et l’économie de marché, mais cela ne s’est pas produit. La guerre en Ukraine est un accélérateur de cette prise de conscience.

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