L’impuissance militaire de l’Europe
Dans une tribune au « Monde », l’historien Laurent Warlouzet explique l’impuissance militaire de l’Europe.
Tribune.
L’« Europe puissance », cette vieille idée française, réactivée récemment encore par le président Macron, peut-elle advenir à la faveur de l’agression russe de l’Ukraine ? Si le blocus de Berlin-Ouest par Staline en 1948-1949 avait joué un rôle majeur pour faire émerger la défense européenne, cette dernière s’est exercée jusqu’à présent largement dans le cadre de l’OTAN. Le pacte atlantique avait d’ailleurs été conclu, le 4 avril 1949, justement à la fin de cette prise en otage de l’ancienne capitale du Reich.
Aujourd’hui, l’attaque sur Kiev permettra-t-elle l’émergence d’une véritable puissance européenne propre, et plus seulement atlantique ? Certes, cette Europe puissance ne serait pas opposée aux Etats-Unis ; elle répondrait, au contraire, aux vœux des Américains eux-mêmes, occupés depuis Barak Obama à un « pivot » vers l’Asie, et dont la rhétorique nativiste sous Donald Trump a fait douter de leur engagement atlantique.
Définissons, au préalable, cette notion d’Europe puissance pour ne pas la réduire à un slogan. En réalité, trois types de construction européenne peuvent être distingués : libéral, solidaire et de puissance.
Le premier a certainement été la matrice de la Communauté puis de l’Union européenne (UE), tant sur le plan économique, avec la promotion des logiques de marchés, que sur le plan politique, avec la défense de l’Etat de droit sur le continent et dans le monde : les Européens comptent sur des règles partagées pour réguler les conflits, prolongeant le vieux rêve wilsonien de la paix par le droit.
Le deuxième, l’Europe solidaire, a été plus ponctuel mais pas absent, comme en témoignent les plans d’assistance dont ont bénéficié les pays anciennement communistes qui ont rejoint l’Union. Certes, l’aide a sans doute été trop tardive et limitée, mais elle explique en partie pourquoi la Pologne est presque quatre fois plus riche que l’Ukraine en matière de produit intérieur brut (PIB) par habitant, alors que la différence était de 10 % en 1990.
Le troisième, enfin, l’Europe puissance, a été largement absent, car, précisément, le projet européen repose sur la promotion des logiques de coopération procurant des bénéfices mutuels.
Au contraire, la logique de puissance est fondée sur l’idée de jeu à somme nulle, de définition d’une communauté d’habitants, nationale ou européenne, qui s’oppose à ses voisins. L’Europe puissance a longtemps été circonscrite au domaine commercial, notamment par des réponses communes face au protectionnisme américain qui ressurgit périodiquement de Reagan à Trump, et à des réalisations industrielles ponctuelles, comme Airbus.
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