Guerre en Ukraine : La croissance menacée en Europe
Un article de la Tribune souligne, l’impact négatif que peut avoir un prix du pétrole qui a déjà doublé en un an sur la croissance économique de la zone euro. Le choc pétrolier actuel est d’une ampleur similaire à ceux de 1973 et 1979, selon certains économistes, qui pointent le risque d’une récession en Europe si les tensions devaient s’amplifier. Explications.
Joe Biden, le président des Etats-Unis, a annoncé mardi l’interdiction d’importer du pétrole et du gaz russes, justifiée par la volonté de ne plus financer, indirectement, l’invasion militaire russe en Ukraine. Elle est effective dès ce jour. Dans la foulée, le Premier ministre britannique, Boris Johnson, a également indiqué que le Royaume-Uni bannissait l’or noir russe mais laissera jusqu’à la fin de l’année aux acteurs concernés pour trouver des fournisseurs alternatifs. Quant aux Européens qui sont eux plus dépendants – ils représentent 60% des exportations de pétrole russe -, ils doivent se réunir jeudi et vendredi pour statuer sur leur position. Du côté du marché, peu après l’annonce du président des Etats-Unis, le prix du baril de Brent, référence européenne, progressait de 7,48%, à 132,43 dollars. Celui du baril de WTI, référence américaine, gagnait 7,44%, à 128,15 dollars.
La décision américaine ne sera pas sans conséquence. La Russie est le premier exportateur mondial de pétrole et de gaz naturel. Si le secteur de l’énergie avait jusqu’à présent été épargné par les sanctions occidentales, cela n’avait pas empêché les prix de l’énergie de flamber, l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe venant après une crise énergétique en Europe. Sur un an, le prix du pétrole brut a bondi de quelque 100%. Et mardi matin, à Moscou, le vice-Premier ministre Alexandre Novak a menacé de fermer le robinet du gazoduc Nord Stream 1 qui alimente l’Allemagne et a prédit que le prix du baril de pétrole atteindrait 300 dollars en cas de sanctions.
Aussi, même s’ils ne semblent pas prêts à prendre une mesure aussi radicale que leurs homologues anglo-saxons, les pays de l’Union européenne (UE) entendent réduire eux aussi rapidement leur exposition. Un plan présenté mardi par la Commission européenne juge possible par exemple une réduction des deux-tiers des importations de gaz russe dès cette année et leur fin « bien avant 2030″.
En outre, les Européens disposent déjà d’un document de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), qui liste une série de dix préconisations d’économie de gaz chiffrées, avec des recommandations concrètes qui prennent en compte la lutte contre le réchauffement climatique.
L’une des causes de récession
En attendant, cette cherté du pétrole ne sera pas sans conséquences pour l’économie européenne, créant un « choc pétrolier » qu’il va falloir absorber.
« Par la soudaineté et l’amplitude des mouvements de prix, on est en présence d’un véritable choc pétrolier. Dans l’histoire économique, ce type de choc a souvent été la cause ou du moins l’une des causes de récession. Dans l’histoire économique, ce type de choc a souvent été la cause ou du moins l’une des causes de récession », rappelle Bruno Cavalier, économiste chez Oddo BHF, qui précise que « mis en perspective sur la longue durée, le choc pétrolier actuel est d’ampleur similaire aux chocs des années 1970 associés aux crises géopolitiques de grande ampleur que furent la guerre du Kippour de 1973 et la révolution islamique iranienne de 1979″.
Quant à l’évaluation chiffrée d’un tel choc, « le surcoût des importations de produits énergétiques est estimé entre 2 et 3 points de PIB pour les économies européennes, soit le même ordre de grandeur qu’en 1973-1974″, indique-t-il.
Ce choc risque, en effet, d’entraîner une augmentation des coûts de production pour les entreprises et une baisse du pouvoir d’achat des ménages.
« D’un modèle à l’autre, les estimations d’un choc pétrolier peuvent un peu varier, de même d’un pays européen à l’autre, mais l’ordre de grandeur est qu’une hausse de 10 dollars le baril pèse sur le niveau du PIB de 0,2-0,3 point à un horizon de deux ans », indique Bruno Cavalier.
Ainsi, si l’on part de la situation telle qu’elle était avant la pandémie du Covid-19, « le choc actuel représente une hausse de 60 dollars le baril par rapport au niveau moyen 2015-2019, de quoi amputer le PIB européen d’environ 1,2 à 1,8 point de PIB », calcule l’économiste.
Autrement dit, comme la croissance pour la zone euro était estimée à 4% pour 2022, celle-ci pourrait ralentir à 2% – si les prix du pétrole restaient élevés-, voire retomber en récession si les tensions devaient s’amplifier.
« La crise actuelle a au moins le mérite de poser la question de l’indépendance énergétique de l’Europe, en allant au-delà des beaux discours sur le verdissement. Il est évidemment difficile de faire plier un pays dont dépend aussi largement notre mode de vie », souligne Bruno Cavalier.
Cette question de l’indépendance stratégique sera au cœur des discussions que mèneront les Européens ces jeudi et vendredi à Versailles sous la houlette du président Emmanuel Macron, cette crise énergétique démontrant notre trop grande dépendance aux autres pays, comme l’a montré la crise sanitaire avec la perturbation des chaînes d’approvisionnement.
Car au-delà de l’envolée des prix, reste précisément le problème de l’approvisionnement physique. « Dans le cas présent, si le pétrole russe venait à manquer en totalité, ce qui est une hypothèse très forte, il existe des sources alternatives, certaines mobilisables sans grand délai. Il est souvent évoqué la possibilité de libérer des réserves stratégiques, d’utiliser des capacités de production non-utilisées de l’Opep, de rouvrir le marché à des acteurs un temps « bannis » comme l’Iran et le Venezuela, sans compter la capacité d’investissement du secteur du shale américain », argumente Bruno Cavalier, qui rappelle que tout dépendra finalement de la durée du conflit et de son issue.
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