La Chine complice mais prudente
La Chine est profondément choquée de la boucherie subie par l’économie russe. Les responsables chinois – à tous les niveaux – se jurent qu’une telle strangulation ne leur arrivera pas. Les Occidentaux eux-mêmes n’en reviennent pas de cette renaissance de la toute-puissance de l’Ouest, qui se rend compte que -tous comptes faits – la mondialisation est une arme dont c’est lui qui détient le manche ! Par Michel Santi, économiste dans la Tribune.
Opinion
Voilà que certains politiques américains songent désormais sérieusement à «débrancher» la Chine si celle-ci devait persévérer dans une posture jugée arrogante et expansive. Voilà que d’autres faucons – s’apercevant que l’Occident n’est pas si faible, qu’il n’est plus timoré, qu’il a su très rapidement s’unir – envisageraient même de profiter d’une Chine aujourd’hui tétanisée, à tout le moins extraordinairement troublée, pour reconnaître de suite Taiwan.
La Chine est donc à l’heure des choix, qui pourraient se révéler lourds de conséquences pour elle, pour elle qui n’a pas vu venir cette guerre. Ou qui n’y a pas cru ni pris au sérieux les rapports secrets lui ayant été envoyés par les États-Unis faisant état d’une menace imminente d’invasion de l’Ukraine par la Russie. Cette Chine, qui en était parvenue à un stade de défiance absolue vis-à-vis des États-Unis et de tout ce qui en émanait, n’a donc pas pu apprécier à leur juste mesure les implications majeures de cette guerre unilatéralement déclarée par Poutine, car les deux pays s’étaient considérablement rapprochés ces dernières années. C’est très probablement à l’aune de cette étroite proximité personnelle entre Xi Jinping et Poutine qu’il faut également comprendre les certitudes de ce dernier dans son expédition punitive ukrainienne. À maintes reprises dans un passé récent, les deux leaders avaient déclaré – et réaffirmé- le partenariat entre leurs deux nations qu’ils avaient qualifié de « sans limites, sans zone interdite, sans ligne d’arrivée » !
Alors que l’Occident sort évidemment régénéré et ragaillardi de ce front uni d’une fermeté sans nul précédent, les réactions – tout comme l’absence de réactions – chinoises sont scrutées attentivement. La Chine s’enfoncera-t-elle davantage dans son autarcie ? Xi, qui partage très largement les vues de Poutine par rapport à une civilisation occidentale dont tous deux prédisaient le déclin, se jettera-t-il à corps perdu dans la promotion d’une stabilité et d’un ordre nouveaux qu’il planifiait de diriger de concert avec son collègue Poutine ? À présent il faut choisir, alors même que c’est là – maintenant – que Poutine a le plus besoin de la Chine dont la marge de manœuvre est plus étroite que jamais, car elle aurait tant à perdre. Un dixième seulement des sanctions touchant la Russie ferait en effet perdre à la Chine l’ensemble du bénéfice qu’elle pourrait tirer de toute l’économie russe.
Le fait est que ces deux économies ne peuvent strictement pas s’intégrer, car la Chine n’en tirerait aucun profit digne de ce nom au vu de la minuscule taille de l’économie russe, comparable (pour reprendre les termes de Paul Krugman) à ce que représentait l’économie italienne par rapport à l’économie allemande à l’époque de l’Axe qui les réunissait dans les années 1930. Premier partenaire commercial de la Russie, la Chine écrase cette dernière par l’importance de son industrie, de ses exportations, de son PIB et n’a donc vraiment pas intérêt à s’aliéner les mastodontes européens et américains pour une Russie insignifiante du point de vue économique et financier. Une fois cette guerre terminée, la seule issue pour la Russie consistera donc en une vassalisation très rapide vis-à-vis de la Chine.
(*) Michel Santi est macro-économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d’Art Trading & Finance.
Il vient de publier « Fauteuil 37 » préfacé par Edgar Morin. Il est également l’auteur d’un nouvel ouvrage : « Le testament d’un économiste désabusé ».
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