Sanctions Russie: punir les oligarques, pas les peuples
Pour « faire plier » un Etat comme la Russie ou la Chine, il faudrait cibler les avoirs des multimillionnaires ayant prospéré grâce au régime et sur lesquels celui-ci s’appuie, explique l’économiste Thomas Piketty dans sa chronique au « Monde ».
Cela passe par la mise en place d’un cadastre financier international, ce qui ne sera pas du goût des fortunes occidentales, dont les intérêts sont beaucoup plus fortement liés à ceux des oligarques russes et chinois que ce l’on prétend parfois. C’est pourtant à ce prix que les pays occidentaux parviendront à gagner la bataille politique et morale face aux autocraties et à démontrer aux opinions mondiales que les grands discours sur la démocratie et la justice ne sont pas des mots creux.
Rappelons d’abord que les gels d’actifs détenus par Poutine et ses proches font déjà partie de l’arsenal de sanctions expérimentées depuis plusieurs années. Le problème est que les gels pratiqués jusqu’ici restent largement symboliques. Ils ne portent que sur quelques dizaines de personnes et peuvent être contournés en utilisant des prête-noms, d’autant plus que l’on ne s’est jamais donné les moyens de mesurer et de croiser systématiquement les portefeuilles immobiliers et financiers détenus par les uns et les autres.
Le problème est qu’une telle mesure est très mal ciblée. De même qu’avec les sanctions commerciales classiques, qui après la crise de 2014 avaient été largement instrumentalisées par le pouvoir pour renforcer son emprise, le risque serait d’imposer des coûts considérables aux entreprises russes et occidentales ordinaires, avec des conséquences néfastes pour les salariés concernés. La mesure affecterait aussi un grand nombre de binationaux et de couples mixtes, tout en épargnant les plus fortunés (qui auraient recours à des intermédiaires financiers alternatifs).
Pour faire plier l’Etat russe, il est urgent de concentrer les sanctions sur la mince couche sociale de multimillionnaires sur laquelle s’appuie le régime : un groupe nettement plus large que quelques dizaines de personnes, mais beaucoup plus étroit que la population russe en général. Pour fixer les idées, on pourrait cibler les personnes détenant plus de 10 millions d’euros en patrimoine immobilier et financier, soit environ 20 000 personnes d’après les dernières données disponibles. Cela représente 0,02 % de la population adulte russe (110 millions actuellement). En fixant le seuil à 5 millions on frapperait 50 000 personnes ; en l’abaissant à 2 millions on en toucherait 100 000 (0,1 % de la population).
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