Allemagne : une remise en cause des choix énergétiques
Alors que son développement s’accommodait de la situation, le conflit oblige Berlin à revoir sa politique.(papier du Monde)
L’Allemagne a changé d’époque. En quelques jours, la quatrième économie du monde a pris la mesure du caractère intenable de sa politique extérieure : après l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe, force est de constater que les échanges commerciaux et l’interdépendance économique entre Etats ne suffisent pas pour assurer la paix et la sécurité. C’est le message délivré par le chancelier social-démocrate Olaf Scholz, les ministres écologistes et libéraux démocrates (FDP) de sa coalition, ainsi que par les chrétiens-démocrates, dimanche 27 février au Bundestag, au cours d’une session historique.
C’est une césure majeure dans la compréhension allemande de son rôle sur la scène internationale. Géant économique grâce à ses exportations, mais acteur géopolitique réservé et surtout pacifiste, l’Allemagne s’était habituée depuis la fin de la seconde guerre mondiale à profiter d’une paix et d’une sécurité largement garanties par d’autres. Elle s’était convaincue qu’un pays avec qui elle entretenait des relations commerciales solides ne pourrait trahir sa confiance et qu’il se mettrait, à terme, sur la voie de la démocratie. Les Verts et les sociaux-démocrates défendaient l’idée selon laquelle le meilleur moyen de garantir la paix était de ne pas participer à la guerre et à l’effort d’armement. Une sorte d’évitement, par l’économie et la morale, des tendances les plus sombres de la géopolitique mondiale.
Cette doctrine, appelée « Wandel durch Handel » (« le changement par le commerce »), dominait la politique extérieure. Elle était d’autant plus facile à porter que le pays a largement profité économiquement de deux facteurs exceptionnels ces vingt dernières années : le fort appétit chinois pour les voitures et les machines made in Germany et l’abondance des hydrocarbures russes bon marché, livrés par pipeline. L’interdépendance, répétait-on dans les milieux d’affaires, est une composante normale d’un modèle économique très ouvert sur l’extérieur.
Tout cela a été balayé par les bombardements de Kiev et les images des Ukrainiens luttant pour leur liberté, à deux heures d’avion de Berlin. Non sans émotion, les députés allemands de gauche comme de droite les plus attachés au Wandel durch Handel ont fait, dimanche, acte de contrition. Les grands partis ont soutenu le plan de renforcement de 100 milliards de l’armée allemande, financé par un crédit exceptionnel, ainsi que la décision de porter à 2 % du PIB le budget allemand de la défense. Les sanctions vont toucher l’économie et ses fondements. Ce renversement des priorités de l’Allemagne va sans doute entraîner un réexamen de sa dépendance aux exportations vers la Chine. Le patronat le reconnaît lui-même : les échanges économiques ne peuvent plus être indépendants de la géopolitique.
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