Guérir la France de la maladie normative
Pour Marc Mossé ,est président de l’Association française des juristes d’entreprise (AFJE) président de l’Association française des juristes d’entreprise (AFJE), il est nécessaire de réinventer la fabrique du droit en associant davantage les citoyens et les entreprises ( dans l’Opinion)
Le besoin de droit souffle sur notre société fragmentée dont une partie se trouve en état de défiance vis-à-vis des institutions. L’Etat de droit est sous attaque. La tentation illibérale se manifeste chez nous au point que certains professent, en 2022, la « pétainisation des esprits ». Reprenons conscience que la démocratie mérite une vigilance de tous les instants et que la préservation de l’Etat de droit exige plus que le confort émollient de l’indifférence. Face à cette crise systémique, le droit est un outil clef pour rebâtir un cadre apaisé et de confiance, avec les juristes pour architectes.
Prenons trois exemples de l’urgence d’agir.
D’abord, il importe de rappeler qu’il n’y a pas d’Etat de droit fort sans service public de la justice fort. La mobilisation inédite des magistrats et greffiers, soutenue par les juristes d’entreprise et les avocats le dit : les moyens du service public de la justice doivent être relevés au moins au même niveau que ceux des grandes démocraties. En parallèle, au nom de l’indépendance de la justice, il convient qu’aboutisse la révision constitutionnelle sur la nomination des procureurs. Une justice de qualité participe de la force du droit dans l’esprit des citoyens ; c’est aussi un critère de compétitivité économique. Parallèlement, il convient de donner une priorité à la qualité du droit passant par sa simplification car l’engorgement des juridictions trouve aussi sa source dans une réglementation bavarde et complexe. Puisque les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires, il est temps d’en finir avec l’insécurité juridique née de l’obésité normative.
Osons réinventer la fabrique du droit en associant davantage les citoyens et les entreprises à son élaboration. Déjà de plus en plus d’acteurs privés créent des règles contribuant à l’intérêt général ; le contrat, le droit souple, les programmes de conformité, le droit à l’expérimentation sont autant d’outils pertinents pour une régulation efficace, agile et décentralisée adossée à un droit source puissant.
«Rapports sociaux, économiques et géopolitiques sont traversés de tensions inédites décuplées par l’affaiblissement des médiations anciennes »
Ensuite, il y a les attaques contre l’Europe avec le principe de primauté pour cible. Alors que la Cour de Justice de l’UE vient de valider le mécanisme de conditionnalité liant le versement des fonds européens au respect de l’Etat de droit, certains candidats prônent un retour en arrière par la modification de l’article 55 de la Constitution prévoyant que la loi ordinaire puisse remettre en cause chaque acte de l’Union européenne. Ce serait, ni plus ni moins, un « Frexit ». Une promesse de désordre et de tensions dont les citoyens et les entreprises pâtiraient chaque jour. Au-delà de l’adieu au marché intérieur, ce serait le renoncement à une Europe puissante et souveraine capable de répondre aux enjeux immenses qui se dressent devant nous.
Enfin, il y a ce devoir de répondre aux défis des bouleversements à l’œuvre en imaginant les droits des générations futures. D’une part, la révolution industrielle numérique pose des questions vertigineuses telles celles liées au développement de l’intelligence artificielle ou aux cybermenaces. Nous voyons se dessiner de formidables opportunités d’émancipation individuelle et collective. En même temps, s’exacerbent les ressentiments de ceux qui sentent leur destin s’abîmer, s’angoissant de ne pas avoir de place dans ce « meilleur des mondes ». Ce tech-paradoxe nourrit les récits contre-révolutionnaires.
Rapports sociaux, économiques et géopolitiques sont traversés de tensions inédites décuplées par l’affaiblissement des médiations anciennes. D’autre part, le changement climatique nous confronte à l’impensé de notre finitude et oblige à ne plus tergiverser. Face au risque d’une croissance technicienne dirigeant seule le politique, le droit est un outil déterminant pour penser les nouvelles régulations favorisant un progrès responsable. Le droit peut aider à maîtriser la technique et la mettre au service de nos valeurs humanistes ; écartant ainsi la crainte d’une obsolescence de l’Homme. Faciliter les innovations durables suppose de définir un ordre juridique qui assure cohérence et créativité, rigueur et fluidité, démocratie représentative consolidée et implication des citoyens et des parties prenantes. Le droit, force créatrice et inclusive, peut contribuer efficacement à recréer une société de confiance.
Marc Mossé est président de l’Association française des juristes d’entreprise (AFJE) et directeur des Affaires Juridiques et des Affaires publiques de Microsoft
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