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Suisse : la corruption derrière le secret bancaire (Joseph Stiglitz)

Suisse : la corruption derrière le secret bancaire (Joseph Stiglitz)

Le Prix Nobel d’économie, Joseph Stiglitz,  salue  dans le Monde l’effet provoqué par les « Suisse Secrets » et souligne que les principales victimes de l’argent sale caché chez Credit Suisse sont les populations de pays pauvres ayant des dirigeants corrompus.

 

Tribune.

 

« Suisse Secrets », la dernière bombe lâchée par un groupe de médias internationaux, est la continuation du travail commencé avec les « Panama Papers » et les « Paradise Papers ». Il s’agit de la même vieille histoire qui se répète, à l’infini. Chaque fois que des journalistes lèvent le voile sur ce qui se passe dans le secteur financier, nous comprenons mieux l’importance du secret bancaire : chaque fois apparaît un réseau de corruption et d’activités sordides derrière lesquels se cachent sans surprise une armée de clients douteux et de familles de dictateurs, mais aussi une poignée de responsables politiques, apparemment respectables, de pays démocratiques.

Mais cette fois-ci, cela semble différent. Il ne s’agit pas d’une petite île obscure située dans des eaux reculées, ni d’un pays en développement en quête d’un autre modèle économique que celui de la drogue. Non, il s’agit d’une grande banque, Credit Suisse, implantée au cœur de l’Europe, dans l’un des pays les plus prospères du monde, un pays où l’État de droit est censé primer. Ces révélations sont d’autant plus désolantes que le pays et la banque impliqués ont promis transparence et amendement – après avoir, des décennies durant, facilité l’évasion fiscale sans que cela paraisse poser le moindre problème. Or le problème se trouve précisément là : il ne saurait y avoir de responsabilité financière des États et des banques en l’absence de transparence accrue.

La position de la Suisse, dont la loi sanctionne ceux qui tentent de percer son secret, semble de plus en plus double. Dans le monde entier, des pays adoptent des lois sur les lanceurs d’alerte, exposés à l’extrême difficulté de faire la lumière sur des comportements nuisibles. Aux Etats-Unis, les révélations de Frances Haugen sur les méfaits de Facebook n’auraient sans doute pas été possibles sans les solides lois américaines sur les lanceurs d’alerte. A l’inverse, la Suisse semble s’arc-bouter sur la défense du secret bancaire, en dépit de ses conséquences néfastes, et sanctionne les journalistes et autres personnes qui parviennent à accéder à des données sur ce qui se passe à l’ombre de son système financier.

Il est regrettable, mais hélas pas surprenant, qu’aucun média suisse n’ait pu participer à cette enquête collaborative mondiale, étant donné les lourdes conséquences légales prévues par les lois suisses sur le secret bancaire. Nous ne pouvons donc que saluer l’action de ces journalistes non suisses qui risquent des poursuites des autorités helvétiques. Sans aucun doute, la Suisse sait l’effet dissuasif de sa législation : sans aucun doute ou presque, son but est de préserver aussi longtemps que possible son modèle économique, pour empocher une petite part des biens illicites ou mal acquis, en échange d’un refuge sûr et secret où amasser et stocker leurs lingots.

 

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