Poutine menace toute l’Ukraine
Vladimir Poutine a décidé de reconnaître, lundi 21 février, l’indépendance des séparatistes prorusses d’Ukraine, et ordonné à l’armée russe de « maintenir la paix » dans ces territoires. Deux décrets du président russe demandent au ministère de la défense que « les forces armées de la Russie [assument] les fonctions de maintien de la paix sur le territoire » des « républiques populaires » de Donetsk et Louhansk.
La reconnaissance des républiques séparatistes de l’Ukraine par la Russie peut-elle être comprise comme un acte de guerre ?
C’est un acte conscient, agressif, et prémédité. Une provocation de plus à l’égard de l’Ukraine, pour la pousser à réagir. Et un défi supplémentaire à l’Occident.
Ne faut-il pas plus que la parole de Vladimir Poutine pour acter cette reconnaissance ?
Le pouvoir en Russie est concentré dans les mains d’un seul homme. Alors, oui, la parole de Poutine suffit, même si, formellement, elle sera « habillée » par une décision du Conseil de la Fédération de Russie, comme le prévoit la Constitution russe.
Concrètement, cette déclaration signifie-t-elle que le Donbass va être annexé par la Russie ? Sous la forme d’une invasion militaire ? Dans quel délai ? L’Ukraine va-t-elle réagir et s’opposer militairement et entrer dans un conflit ?
Pour l’instant, il s’agit de la « reconnaissance » de l’indépendance d’une partie du Donbass, et donc d’une amputation d’une partie du territoire ukrainien. Encore une fois, ce n’est sans doute qu’une étape car c’est toute l’Ukraine qui est dans le viseur du Kremlin.
La réaction de Kiev sera évidemment importante, mais il faut reconnaître que, jusqu’à présent, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, s’est plutôt révélé dans cette crise, en faisant preuve de sang-froid.
Est-il possible de faire un point sur ce que sont les accords de Minsk, et ce que pourrait signifier leur remise en question ?
Les accords ont pris leurs sources en 2014, puis ont été signés, en septembre 2015, dans la capitale biélorusse – d’où leur nom – avant d’être poursuivis. Ils étaient censés réunir la Russie et l’Ukraine sous le parrainage de la France et de l’Allemagne pour tenter de trouver une solution au conflit, et surtout un cessez-le-feu entre les parties, Kiev d’un côté, les séparatistes prorusses de l’autre, soutenus par Moscou.
Force est de constater, ce soir, que ces accords ont volé en éclats, puisqu’ils posaient comme principe le maintien des territoires autoproclamés autonomes de Louhansk et de Donetsk, dans le giron de l’Ukraine… Le discours de Vladimir Poutine constitue une rupture unilatérale de ces accords.
Il semble que la Russie ait les moyens militaires d’une invasion et qu’elle souhaite peser sur l’équilibre des forces en Europe notamment vis-à-vis de l’OTAN. Mais que gagnerait-elle concrètement à envahir l’Ukraine (hors zones « séparatistes ») ?
La Russie a modernisé son armée, qui s’est, de surcroît, entraînée en Syrie, donc elle a certainement les moyens. Elle a, lors d’exercices militaires précédents, fait, en outre, la démonstration de capacité logistique (transport de troupes, notamment). Mais peut-elle s’emparer d’un pays de 44 millions d’habitants ? Le doute est permis. La Russie de Vladimir Poutine peut néanmoins créer les conditions d’un désordre durable.
Après un tel discours, n’est-il pas clair que son seul objectif, in fine, est un changement de régime à Kiev et la vassalisation de l’Ukraine ? Le Donbass n’est qu’une première étape.
Vous avez raison, l’objectif, in fine, de Vladimir Poutine dépasse le cadre de la seule région du Donbass. A plusieurs reprises, le président russe a dit que l’Ukraine, pour lui, n’était « pas un pays ». Le Donbass n’est donc qu’une étape.
Dans son discours de ce soir, le chef du Kremlin a d’ailleurs dressé sa liste de griefs contre Kiev, depuis les « réparations » que l’Ukraine n’aurait pas honorées lors de la dissolution de l’URSS jusqu’aux incidents qui se sont produits à Odessa en 2014 et qu’il a promis de « punir ». Une Ukraine indépendante, libre de ses choix, n’est pour lui pas concevable.
Tenant compte de ses très nombreux rappels passés comme quoi son pays était une puissance nucléaire, faisant également ce soir mention de menace nucléaire des Etats-Unis et de l’OTAN en s’établissant en Ukraine, Poutine affiche clairement la couleur s’il en venait à perdre la main au cour du conflit, une guerre nucléaire pourrait-elle éclater à moyen ou même court terme en Europe ?
Espérons que ce ne sera pas le cas ! Même si Vladimir Poutine agite cette menace, notamment en installant des missiles en Biélorussie, comme cela est déjà le cas dans l’enclave russe de Kaliningrad, cela paraît difficilement concevable. Mais c’est évidemment un moyen de pression supplémentaire.
La question que l’on se pose naturellement : y a-t-il un risque que le conflit arrive chez nous, soit dans l’Union européenne (UE) et en Europe occidentale ?
La situation est certes grave, mais l’UE n’est pas en première ligne, du moins pas directement sur le plan militaire. En revanche, l’Ukraine est bien aujourd’hui menacée.
L’OTAN peut-elle aider l’Ukraine si celle-ci appelle à l’aide ?
L’Ukraine ne fait pas partie de l’OTAN. Une intervention directe n’est donc pas envisageable, mais plusieurs pays de l’Alliance ont déjà proposé des équipements et une aide indirecte.
Si l’armée russe rentre officiellement dans le Donbass, les Occidentaux vont-ils contre-attaquer par les armes ou s’en tenir aux sanctions économiques et diplomatiques ?
Le président américain Joe Biden a été clair sur ce sujet : les Etats-Unis n’enverront pas de soldats sur le terrain. L’OTAN reste aussi dans ses frontières. Il est probable, donc, que les Occidentaux enverront des équipements à l’Ukraine, mais n’interviendront pas directement.
Accepter le plus vite possible la demande de l’Ukraine pour intégrer l’OTAN, est-ce la seule vraie riposte à la décision de Poutine ?
Il existait, jusqu’ici du moins, un consensus parmi les alliés de l’OTAN pour ne pas intégrer l’UKraine afin de pas froisser Moscou – en dépit des promesses qui avaient été faites à la Géorgie et à l’Ukraine en 2008.
Pour le Kremlin, ce n’était manifestement pas suffisant. Vladimir Poutine accélère, car il constate que l’armée ukrainienne s’est elle-même modernisée, sans attendre. Elle a notamment acquis récemment des drones de fabrication turque.
Les Etats-Unis ont été soudainement très alarmistes, alors même que le président ukrainien disait que la situation n’avait pas changé depuis des mois, et beaucoup plus que d’autres dirigeants européens. A votre avis, quelle en est la raison ?
Les Etats-Unis ont, effectivement, été très alarmistes. Contrairement aux usages, Washington a décidé de rendre publics les renseignements dont le pays dispose, dans le but, sans doute, de priver Vladimir Poutine de l’effet de surprise.Ces renseignements ont été partagés avec ses alliés. Et, contrairement aux déclarations du Kremlin, non seulement les milliers de soldats aux frontières de l’Ukraine n’ont pas été retirés, mais, plus grave, la présence des troupes russes a été prolongée en Biélorussie. Les Etats-Unis ont pris au mot Vladimir Poutine sur la guerre de l’information en rendant publique chaque étape.
Une fois l’Ukraine soumise est-ce qu’il sera encore politiquement acceptable de continuer à acheter du pétrole et du gaz russe ? Ne va-t-on pas vers un choc pétrolier ?
Un conflit, même indirect avec la Russie, aura effectivement des répercussions sur l’énergie. Plusieurs pays de l’UE sont très dépendants du gaz russe. La question se pose également pour l’Allemagne sur le sort du gazoduc Nord Stream 2, achevé, mais pas encore opérationnel. Sa poursuite devient pour Berlin une question politique, comme la livraison de porte-hélicoptères Mistral l’avait été, toutes proportions gardées, pour la France.
Quid de la population russe ? Russes et Ukrainiens sont très proches. L’opinion populaire russe pourrait-elle braver Poutine pour éviter une attaque contre leurs « frères » ukrainiens ?
C’est une très bonne question. Le problème est que Vladimir Poutine a éradiqué dans son pays toutes les voix discordantes, non seulement politiques, avec, notamment, l’emprisonnement de l’opposant Alexeï Navalny, et les poursuites engagées contre ses partisans pour « extrémisme ». Mais il a également mis à terre les voix « civiles ». Je pense en particulier à l’ONG Memorial, cofondée par Andreï Sakharov, aujourd’hui en cours de liquidation, et qui constituait le dernier rempart, selon moi, capable d’un discours critique sur la situation.
Quelles seront les conséquences pour l’Ukraine ?
Elles sont importantes puisqu’elles équivalent à une amputation de son territoire – comme la Géorgie qui a perdu 20 % du sien en 2008. Après la Crimée, annexée en 2014, c’est une autre étape, majeure. Le Kremlin tente de pousser à bout Kiev pour pouvoir intervenir militairement.
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