Démocratie représentative : la fin d’un cycle
Dans son nouvel ouvrage, le juriste Dominique Rousseau détaille les réformes constitutionnelles qu’il juge nécessaires pour répondre au malaise démocratique. (interview du Monde)
Alors qu’on s’apprête à élire nos représentants au suffrage universel, vous écrivez que le citoyen est le grand absent des formes politiques contemporaines. N’est-ce pas paradoxal ?
Cette idée peut paraître paradoxale si l’on pense que le citoyen se réalise dans la figure de l’électeur. Or, l’électeur ne définit pas la démocratie mais la forme électorale. Nous sommes au bout d’un cycle, celui d’une démocratie représentative pensée à la fin du XVIIIe siècle, qui ne reconnaît au citoyen que la compétence d’élire des représentants qui vont vouloir pour lui. Un autre cycle s’ouvre. Il a pour principe la compétence normative des citoyens, c’est-à-dire leur capacité d’intervenir personnellement dans la fabrication des lois et politiques publiques. Nuit debout, les « gilets jaunes », les zadistes, tous ces mouvements sociaux expriment cette nouvelle revendicatio
Vous écrivez que la tension entre deux formes de démocratie, représentative et continue, existe depuis la révolution de 1789. De quelle façon ?
Historiquement cette tension s’est traduite par deux conceptions de la représentation : la « représentation fusion », héritage direct de la monarchie, associe le corps de la nation à celui de ses élus. « Le peuple (…) ne peut parler, ne peut agir, que par ses représentants », affirme l’abbé Sieyès en 1789.
Mais une autre forme de représentation – que j’appelle la « représentation écart » – est déjà inscrite dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Les citoyens concourent personnellement ou par leurs représentants à la fabrication des lois. » Avec l’adverbe « personnellement », la compétence normative est inscrite en toutes lettres. En outre, on peut lire dans le préambule que la Déclaration vise à permettre au citoyen de « comparer » l’action du pouvoir politique avec ses droits, afin d’en « réclamer » le respect. Les fondements constitutionnels d’une démocratie continue sont présents dans cette reconnaissance d’une autonomie politique du citoyen.
Vous appelez le futur président de la République à changer la Constitution au cours d’un processus délibératif. Pourquoi ne pas recourir à une assemblée constituante ?
L’histoire montre qu’une assemblée constituante n’est convoquée qu’après une révolution – en 1789 et en 1848 –, la chute d’une dictature – au Portugal en 1974 –, une crise politique grave – au Chili en 2019 –, ou une défaite militaire – en 1870. Je propose la création d’un comité de réflexion sur la Constitution, composé pour moitié de citoyens tirés au sort et pour moitié d’experts, avec mission d’engager dans le pays une délibération décentralisée sur la réécriture totale ou partielle du texte. Ce grand débat constituant, indépendant du gouvernement, devrait durer deux ans, dans les quartiers, les entreprises, les écoles, et déboucher sur un texte soumis à référendum.
0 Réponses à “Démocratie représentative : la fin d’un cycle”