Agriculture : L’expertise et la démocratie
Un consensus fort existe désormais pour la sortie d’une agriculture dopée aux pesticides. Mais les agences continuent de permettre la mise sur le marché de nouveaux produits. ( Stéphane Foucart , le Monde)
Chronique.
Il n’existe aujourd’hui plus une autorité scientifique qui ne recommande une sortie rapide du système agricole dominant. Celui-ci non seulement pèse sur la santé publique, mais il précipite un effondrement sans précédent de la biodiversité. Il ne fait plus de doute que l’usage inconsidéré de la chimie de synthèse pour produire notre alimentation est trop risqué et n’est en tout cas pas durable.
Les autorités continuent pourtant de permettre, ne varietur, l’arrivée sur le marché de nouveaux produits phytosanitaires et offrent ainsi à un système unanimement considéré comme insoutenable, de perdurer. Il y a là un paradoxe en apparence inexplicable. Si le modèle agricole dominant est si dangereux, comment l’expertise réglementaire lui permet-elle de perpétuer ses pratiques ?
L’une des vertus de la controverse sur le glyphosate a été de focaliser l’attention des médias, des décideurs et même de la communauté scientifique sur les méthodes réglementaires d’évaluation des risques des pesticides. C’est le sens du récent avis de la Commission nationale de la déontologie et des alertes en santé publique et environnement (CNDASPE), qui demande la conduite d’une enquête sur l’expertise européenne sur le célèbre herbicide, non seulement sur les conflits d’intérêts des experts mais aussi sur la pertinence scientifique de leur démarche. Dans un monde dominé par la technique, l’expertise devrait toujours être l’objet d’une vigilance scientifique et démocratique.
Vers une réautorisation du glyphosate
Cela tombe bien : une nouvelle évaluation est en cours et devrait aboutir à la réautorisation du glyphosate, fin 2022. Le rapport préliminaire d’expertise a été concocté par les agences réglementaires de quatre Etats membres (France, Suède, Pays-Bas et Hongrie) et ne trouve rien à redire : le glyphosate n’est ni génotoxique, ni cancérogène, ni perturbateur endocrinien, et n’est pas toxique pour la reproduction. Rien ne s’oppose donc à sa réautorisation.
Dans la procédure communautaire, c’est l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) qui est chargée de recueillir et de rendre publics les commentaires critiques adressés par la société civile à ce rapport préliminaire. Hélas, l’EFSA les a publiés sous un format inconsultable. Les commentaires s’affichent par groupe de trois, dispersés sur 142 pages du site Web de l’agence. Et une fois chaque commentaire affiché, il faut à nouveau cliquer sur un onglet pour connaître l’identité de son auteur et parfois cliquer encore pour accéder aux documents associés.
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