Politique énergétique : Revenir à l’avant ou préparer l’après ?
Revenir aux politiques d’avant ou préparer l’après s’interroge Andreas Rüdinger, chercheur associé à l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI) et consultant indépendant en politiques énergétiques.
Commençons par un constat positif et rassurant : lorsque le monde politique reconnait que nous sommes réellement en situation de crise, il arrive rapidement à se mettre en « état de guerre » et à débloquer des sommes colossales, faisant fi de toutes les contraintes d’endettement. La crise du Covid-19 a fourni une illustration sans précédent, avec plus de 140 milliards d’euros engagés par l’Etat français pour maintenir l’économie a flot. La crise des prix des énergies, qui a progressivement touché le marché du gaz, puis l’électricité et enfin les carburants depuis septembre 2021, semble de nouveau valider ce principe. En l’espace de quelques mois, l’Etat français a engagé 15,5 milliards de dépenses publiques et jusqu’à 8 milliards de dépenses quasi-publiques pour compenser les impacts de la hausse des prix, principalement au travers du blocage des tarifs réglementés de vente de gaz et d’électricité.[i] Soit plus que l’ensemble des dépenses publiques favorables au climat recensées pour 2019, selon l’institut I4CE.
Quand une crise en engendre une autre
Dans son rapport spécial de 2020 « Climat, santé : Mieux prévenir, mieux guérir », le Haut Conseil pour le Climat rappelait à juste titre : « Il est impératif que la réponse du gouvernement soutienne des transformations structurelles qui accélèrent la transition bas-carbone juste, car celle-ci renforcera notre résilience aux risques sanitaires et climatiques ». Qu’en est-il en ce début d’année 2022 ? Si des doutes subsistent sur le bilan en matière d’accélération de la transition bas-carbone, un constat s’impose : à défaut de baisser les émissions de gaz à effet de serre, l’avalanche d’argent public a permis de doper la croissance économique. 7 % pour ce qui est de la France, un record absolu sur les 50 dernières années. Associée à l’effet « Covid » de désorganisation des chaînes de production, cette relance économique sur fond de plans de relance a paradoxalement contribué à une nouvelle « crise », faite de pénuries sur de nombreuses matières premières, du bois au plastique et à l’acier, en passant par les semi-conducteurs et… l’énergie.
Un retour aux fondamentaux de la politique énergétique…
Cette nouvelle crise de l’énergie engendre des glissements rhétoriques et idéologiques déconcertants. On a connu un chef d’Etat parti en guerre contre le Covid mais oubliant d’évoquer la crise climatique sur une interview de deux heures. Place désormais au ministre de l’Économie qui compare la crise actuelle des prix des énergies au choc pétrolier de 1973. Et paradoxalement, 50 ans après, ce retour vers le passé ne paraît pas totalement infondé : les prix des énergies atteignent de nouveaux records. Et les Etats s’efforcent à répondre aux fondamentaux de la politique énergétique : assurer la sécurité d’approvisionnement et garantir des prix abordables, pour ne surtout pas mettre en danger la croissance économique. Quitte à sortir le chéquier pour acheter la paix sociale. Dans cet éloge de l’ancien monde, les industriels ne sont pas en reste, en proposant la création d’un grand ministère de l’Industrie regroupant l’industrie, l’énergie et la recherche. L’écologie, ça commence à bien faire. Et dans tout ça, personne ne parle du climat. Don’t look up.
… qui ne doit pas devenir une fatalité
En dehors de la France, particulièrement exposée en pleine période pré-électorale, tous les décideurs européens semblent pris par le même dilemme : impossible de traiter de front l’urgence économique et sociale due à la hausse des prix tout en mettant en œuvre la nécessaire accélération de la transition bas-carbone. Avec une tentation de plus en plus visible de repasser un peu par l’ancien monde, fondé sur une croissance économique dopée par une énergie carbonée et peu chère. L’année 2022 connaitra une production record de charbon à l’échelle mondiale. Et au sein de l’UE (et de la France !), la consommation de gaz a même augmenté au sein des 20 dernières années. Mais il vaut mieux se préoccuper des prix que de la maîtrise des consommations. close volume_off On ne peut rien faire, Madame le Ministre, disaient-ils.
Faire de la transition « juste » plus qu’un simple slogan ?
La question qui se pose en filigrane est bien de savoir si la transition « juste », combinant l’urgence climatique et l’impératif social, pourrait un jour devenir plus qu’un slogan politique. En ce qui concerne la réponse à la crise des prix des énergies, cela ne semble pourtant pas si compliquée, à condition de prendre les choses au pied de la lettre : « Transition » : plutôt que d’entraver la transition, en supprimant le signal prix de l’énergie pour l’ensemble des acteurs (via un blocage général des tarifs), il faut au contraire massivement faciliter le passage à l’acte pour que chacun puisse engager la transition à son échelle, dans un contexte (assez rare) où tout le monde se sent concerné par la question énergétique.
Pour chaque euro dépensé dans les mesures d’urgence sociale, un euro supplémentaire devrait alimenter les politiques de transition, en ciblant particulièrement la rénovation énergétique et la mobilité propre. Et en dépit de la grande tentation à réduire le débat sur la transition en France à l’affrontement entre nucléaire et renouvelables : ce ne sont pas des annonces hâtives sur de nouveaux réacteurs nucléaires, dont la mise en service n’interviendra pas avant 2040 qui vont permettre d’accélérer la transition bas carbone sur la décennie critique qui nous attend. Ni à répondre à la crise de l’énergie que nous vivons déjà. « Juste » : cette accélération de la transition ne doit pas peser de manière disproportionnée sur les acteurs les plus vulnérables.
Il faut donc leur réserver des mesures bien ciblées et proportionnelles à l’impact de la hausse des prix, tout en cherchant en priorité à réduire leur vulnérabilité de façon structurelle. Non pas en se bornant à réduire le prix de l’énergie de manière artificielle pour tous les acteurs. Mais en mettant en œuvre un vaste plan de rénovation énergétique visant à transformer toutes les passoires thermiques habitées par des ménages modestes en bâtiments basse consommation, avec un reste à charge zéro. A titre d’illustration : selon le scénario Rénovons, il faudrait 4 milliards d’euros par an pour rénover l’ensemble des 6,7 passoires thermiques (classes F et G) au standard « bâtiment basse consommation » sur 10 ans. En mettant en œuvre ces critères pour améliorer l’efficacité des mesures de gestion de la crise, il aurait été possible de flécher au moins dix milliards sur les vingt dépensés à l’accélération de la transition bas-carbone, tout en répondant de façon plus ciblée aux besoins des acteurs les plus vulnérables. Le choix qui se présente à nous ne doit pas se faire entre l’impératif de justice sociale et la lutte contre le dérèglement climatique. Mais bien entre la tentation de rester coincés dans l’ancien monde, au risque de subir des crises toujours plus violentes, et le courage de saisir cette crise comme opportunité pour enfin s’engager sur le chemin d’une société plus résiliente. Ces dépenses incluent le chèque énergie additionnel de 100 euros (0,6 milliard d’euros), l’indemnité inflation versée à 38 millions de personnes (3,8 milliards d’euros) ; la réduction de la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE) de 22,50 €/MWh à 0,50 €/MWh (8 milliards d’euros), l’indemnisation des fournisseurs pour le blocage du tarif réglementé de vente de gaz (1,2 milliard d’euros), et enfin le coût supporté par EDF au titre de l’extension de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH), annoncé à 8 milliards d’euros.
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