La ghettoïsation des vieux

 La ghettoïsation des vieux 

 

Se focaliser sur le manque de moyens des Ehpad permet d’éviter la réflexion de fond, explique, dans une tribune au « Monde », la médecin Isabelle Marin, qui prône un débat sur le choix sociétal que représente la « mise en institution des vieux ».

 

Tribune.

 

Le scandale des Ehpad a enfin éclaté. Depuis plusieurs années, les soignants tiraient la sonnette d’alarme. En 2018, le Comité national d’éthique avait soulevé le problème et, avec l’irruption du Covid, de nombreux drames ont alerté sur cette situation. Or à chaque fois, on constate la même réaction face au problème : se focaliser sur le manque de moyens et non sur le choix sociétal que représente la mise en institution des vieux. La question des moyens permet d’éviter la réflexion de fond. Bien sûr, il faut rajouter des soignants, bien sûr, il faut augmenter le nombre de couches selon les besoins, bien sûr il faut retirer la gestion du vieillissement de la sphère du marché et de l’enrichissement de quelques-uns. Mais croit-on vraiment que cela va résoudre le problème ?

Jeune médecin, de gauche et d’extrême gauche, je militais pour l’euthanasie jusqu’à mon passage comme interne dans le « long séjour » d’Ivry, un des plus grands établissements du genre en Europe. Les vieux y étaient parqués en grandes salles communes où l’on se repérait à l’odeur : la salle des hommes à droite, celle des femmes à gauche. Alors j’ai compris que l’euthanasie était un renoncement à une autre bataille : tenter d’améliorer les conditions de vie et de soin des vieux et des malades. Les salles communes ont disparu, les Ehpad ont des jardins et des noms de fleurs, mais les vieux sont toujours coupés du monde, exclus de toute vie publique, relégués dans leur désolation.

« Mais pourquoi la gauche a-t-elle renoncé à “changer la vie”, ou au moins, les conditions de vie ? »

On s’offusque quand certains refusent l’inclusion pour les handicapés, mais qui parle de l’exclusion des vieux ? La ghettoïsation des personnes âgées dans des structures isolées, loin des centres-villes le plus souvent, ne peut que conduire à des formes de maltraitance plus ou moins contrôlées. Les vieux délaissés dépendent totalement de rares soignants tout aussi isolés qu’eux. Demander plus de personnel est un vœu pieux. Les Ehpad comme l’hôpital sont désertés par les soignants.

Nous ne valorisons plus l’attention à l’autre. Ceux qui travaillent dans le « care » à domicile comme en institution pour nos personnes âgées, ce sont en grande majorité – en tout cas en région parisienne – des soignantes venues d’autres horizons culturels. Les politiques promettant de réduire l’immigration devraient réfléchir à cette situation. Bien sûr, les conditions et la charge de travail, le taux de rémunération, bref, les moyens, rebutent, mais creusons plus loin : notre culture nous éloigne du soin et nous avons besoin pour nous laver les fesses de ces immigrés que nous vilipendons par ailleurs. Ne pouvons-nous pas apprendre d’eux comment bien traiter nos personnes âgées ?

 

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