E-commerce: Perspective et limite
Dans une interview accordée à La Tribune, Vincent Chabault, sociologue à l’Université de Paris, spécialiste du commerce et de la consommation et auteur d’Eloge du magasin (Gallimard, 2020), analyse dans le détail les différentes tendances de la consommation numérique .
Intreview de Vincent Chabault, sociologue à l’Université de Paris, spécialiste du commerce et de la consommation et auteur d’Eloge du magasin (Gallimard, 2020), (Crédits : F.Mantovani/Gallimard) ( dans la Tribune)
La crise sanitaire a amplifié la croissance du e-commerce qui était déjà forte les années précédentes. Les confinements et les contraintes sanitaires qui l’ont accompagnée ont entraîné un fort développement de la demande et de l’offre avec, dans certains secteurs, un véritable coup d’accélérateur. Jusqu’où le e-commerce peut-il aller. Peut-il tuer le commerce « physique » à long terme ?
Vincent Chabault - La crise a en effet accéléré des tendances qui étaient préexistantes. Le gros changement est aussi d’ordre psychologique dans la mesure où, aujourd’hui, la norme du magasin connecté, quelle que soit sa taille, s’est imposée. Pendant la crise, et notamment pendant les deux confinements, il y a eu une forte digitalisation de tous les magasins. Y compris de ceux, comme la grande distribution et surtout le petit commerce, qui se méfiaient de cette révolution numérique car ils ne la maîtrisaient pas. Désormais, ces outils numériques au service du commerce de détail ne sont plus vus comme une menace, mais bel et bien comme un outil de développement économique, surtout en temps de confinement. Dans la grande distribution le « drive » a explosé, notamment pour les produits frais, ce qui n’était pas le cas auparavant. Il a également progressé sous d’autres formes comme les « drives fermiers » au printemps 2020, quand les marchés étaient fermés, organisés avec des circuits courts avec l’aide des chambres d’agriculture et des prestataires numériques comme Cagette.net. Dans les petits commerces, les librairies, les artisans alimentaires, les boucheries… le « click and collect », davantage que la livraison à domicile, s’est renforcé.
Aujourd’hui, les magasins sont ouverts. La croissance du e-commerce est-t-elle aussi forte ?
Nous ne sommes pas encore revenus à la normale. Nous constatons néanmoins que dès que les magasins rouvrent en mode non dégradé, quand les routines d’achat reprennent un peu, les services numériques connaissent un reflux. En ce moment, il y a moins de livraisons, moins de « click and collect »… Pour autant, il existe des routines d’achat qui avaient basculé vers le numérique et qui perdurent depuis la réouverture des magasins. On le voit notamment dans l’alimentaire, avec le « drive voiture », les livraisons à domicile, et, dans des villes comme Paris, le « drive piéton ». Résultat, il y a une polarisation du modèle commercial avec l’émergence de deux logiques de consommation : la première concerne la consommation de flux, de ravitaillement régulier, le « fond de placard »… Là, le numérique sous la forme du « drive » (voiture ou piéton), de la livraison voire du « quick commerce », va encore progresser aux dépens des hypermarchés et des centres commerciaux de périphérie, qui me semblent les plus menacés par l’essor du e-commerce. L’autre logique de consommation correspond à une consommation ponctuelle, d’exception, à forte dimension gastronomique pour les artisans alimentaires ou culturelle pour ce qui concerne les librairies, pour laquelle le magasin conserve sa légitimité pour son rôle de conseil, de relation, d’expertise…Cette polarisation de l’appareil commercial va probablement se renforcer dans les années à venir. S’il ne va pas remplacer le commerce classique, il est clair que pour une certaine forme de consommation, le e-commerce va effectivement progresser énormément aux dépens du réseau classique.
Pourquoi cette logique de consommation échappe-t-elle au e-commerce ?
Je pense que le shopping, la flânerie, les courses ponctuelles ont un avenir car la consommation n’est pas qu’une affaire d’économie. Faire du shopping est une activité socio- culturelle. C’est une pratique qui comporte une dimension identitaire et relationnelle forte et elle s’inscrit dans des liens sociaux et des sociabilités. Les adolescents par exemple fréquentent beaucoup les centres commerciaux. Par ailleurs, il faut aussi reconnaître qu’un certain nombre de produits passent difficilement par le e-commerce.
0 Réponses à “E-commerce: Perspective et limite”