Les économistes sont dans un monde imaginaire
L’économiste Gilles Rotillon s’étonne, dans une tribune au « Monde », du procès en surdité adressé par ses collègues aux politiques, qui ne suivraient pas leurs prescriptions théoriques.
Une réflexion rare qui contrarie un certain corporatisme et surtout met le doigt sur un aspect essentiel le décalage entre le monde des experts et les réalités socio- économiques de terrain. NDLR
L’économie est aujourd’hui considérée d’abord comme un réseau de contraintes imposé à toutes les actions humaines, définissant le cadre où elles se déroulent. Le président des Etats-Unis Bill Clinton le résumait d’une formule lapidaire : « C’est l’économie, stupide ! », pour signifier à ses opposants qu’il ne fallait pas prendre ses désirs pour des réalités.
Par une formidable inversion, ce ne seraient donc plus les lois naturelles de la physique, de la chimie ou de la biologie qui borneraient la liberté des humains, mais celles de l’économie, qui, bien que n’étant que des constructions sociales évoluant historiquement, sont pour ainsi dire « naturalisées ».
La reconnaissance de ce rôle essentiel que joueraient les « lois de l’économie » conduit logiquement à se tourner vers les économistes qui ont fait profession de les étudier et de les comprendre. De fait, il existe dans tous les grands pays développés des « conseils économiques » censés aider les politiques à définir des politiques publiques « réalistes », c’est-à-dire prenant en compte ces fameuses « lois ».
Pourtant, certains économistes regrettent de ne pas être écoutés par les politiques et cherchent à comprendre les raisons d’une telle surdité. Parmi celles qui sont couramment avancées, on trouve la manière de raisonner des uns et des autres. A la rigueur formelle, basée sur l’abstraction et les données statistiques des économistes, s’opposerait le discours politique qui joue avec les faits (manière euphémisée de parler de mensonge), pour emporter l’adhésion d’une clientèle électorale.
Une autre explication, plus fondamentale et souvent répétée, serait l’adoption d’horizons de réflexion différents. Le long terme pour les économistes, qui est le temps logique pour l’aboutissement des ajustements de marchés après un choc politique initial, et le court terme politique des échéances électorales, qui empêche de prendre en compte les défis majeurs de l’avenir identifiés par les économistes (comme ils avaient si bien su le faire avant la crise de 2008…).
Une dernière explication serait le déficit de culture économique, dont par définition ne souffrent pas les économistes, ou encore la déréglementation du marché de l’information, qui met sur le même plan les idées qui relèvent du consensus scientifique et les élucubrations farfelues.
Pour bien faire comprendre à quel point la culture économique est nécessaire, on prend souvent l’exemple du chômage. Ceux qui n’ont jamais fait d’économie auraient une vision statique du monde qui leur ferait croire que l’emploi est un gâteau de taille fixe, ce qui justifierait la réduction du temps de travail pour réduire le chômage. A l’opposé, les économistes sûrs de leur savoir expliquent que nous sommes dans un système dynamique, les innovations engendrant de la croissance et donc de nouveaux emplois.
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