France: Une nouvelle société d’héritiers ?

France: Une nouvelle société d’héritiers ?

 

Frédéric Salat-Baroux, ancien secrétaire général de la présidence de la République détaille les mesures qu’il estime nécessaires pour répondre à la crise « morale » de nos sociétés.

 

Tribune. 

 

Ne refaisons pas avec la question des inégalités la faute d’aveuglement commise avec l’environnement et l’immigration dans les années 1970-1980. Les inégalités remettent en cause la place des classes moyennes et populaires qui forment la colonne vertébrale de nos sociétés. Elles sont écrasées entre le rattrapage asiatique qui a laminé leurs emplois productifs et les « vainqueurs » de la mondialisation qui, à nouveau, « prennent tout » ou presque.

Sans même s’arrêter aux « ultrariches » de la révolution numérique, les 10 % les plus aisés perçoivent 52 % des revenus mondiaux, détiennent 76 % des richesses et émettent 48 % du CO2 (« Rapport sur les inégalités mondiales 2022 », World Inequality Lab). Alors que le grand cycle démocratique du XXe siècle avait créé des sociétés plus égalitaires, entre 1988 et 2008, 44 % de l’augmentation des revenus planétaires sont allés aux 5 % les plus riches (Branko Milanovic, Inégalités mondiales, La Découverte, 2019). A cela s’ajoute une autre inégalité : l’éviction des territoires, au profit de la métropolisation.

Plus encore que matérielle, la crise est morale. Nos sociétés redeviennent héréditaires et sont dominées par une idéologie du succès, aussi fausse que mortifère. La situation des Etats-Unis annonce la crise qui nous attend. Les pouvoirs sont entre les mains de ceux qui sont passés par les grandes universités de l’Ivy League. Issus des milieux les plus aisés, ils se marient de plus en plus entre eux et bénéficient de la flambée des salaires des dirigeants. Puis, ils surinvestissent dans l’éducation de leurs enfants. La machine inégalitaire est inarrêtable. Les « vainqueurs » pensent qu’ils ne doivent leur réussite qu’à eux-mêmes et regardent les « perdants » comme des « déplorables », ainsi que les a nommés l’effrayante Hillary Clinton.

Assommées par l’idéologie du succès, les classes moyennes et populaires sont atteintes dans leur dignité. L’espérance de vie a baissé aux Etats-Unis en raison des morts de désespoir : alcool, drogues, suicides. Ceux qui sont les plus touchés ne sont pas les plus pauvres mais ceux qui n’ont pas fait d’études supérieures. Comme l’a montré Michael Sandel, c’est une véritable Tyrannie du mérite (Albin Michel, 2021) qui est en train de détruire la cohésion sociale américaine.

La France est moins inégalitaire, mais notre ascenseur social est bloqué. Nous aidons les plus pauvres à vivre mais ils « restent à leur place ». Il faut six générations pour passer des classes populaires à la classe moyenne selon le rapport de l’OCDE « L’ascenseur social est-il en panne ? » (2018). En 2016, les enfants de milieux très favorisés constituent 73 % des effectifs de Sciences Po Paris ou de l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm, 89 % de HEC et 92 % de Polytechnique ; ceux des milieux modestes représentent moins de 8 % des effectifs de ces écoles (« Quelle démocratisation des grandes écoles ? », Institut des politiques publiques, 2021).

 

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