Le populisme élitiste délibéré de Macron ?
« [Les] déclarations polémiques d’Emmanuel Macron ne sont pas le fruit pourri d’un dérapage mais font partie d’une stratégie, fondamentalement populiste, adoptée par le chef de l’Etat, écrit Jean-Louis Robert dans le Monde, en réaction aux paroles du président de la République disant vouloir « emmerder » les personnes non vaccinés. [...] Ses propos, souvent pointés comme clivants, le sont intentionnellement. »
Tribune
Martin Legros convoque alors Le Prince de Machiavel, qu’Emmanuel Macron aurait oublié, bien qu’il lui ait consacré son mémoire de philosophie. Pour le penseur florentin, « le Prince doit penser à fuir les choses qui le rendent odieux et méprisable : toutes les fois qu’il aura fait cela, il aura rempli son rôle […] ». Ne pas susciter la haine et le mépris, en recherchant l’estime de ses sujets (de ses concitoyens, pour actualiser), grâce à la mise en pratique d’une vertu cardinale, la constance en l’occurrence. Le meilleur moyen de conserver le pouvoir, qui n’exclut pas des prises de position difficiles, c’est la valeur de la relation que l’on a su établir avec le peuple.
On peut, sans risquer de se tromper, estimer que l’aveu d’un désir d’emmerdement, dont pâtiraient les non-vaccinés, n’est en aucun cas de nature à améliorer la qualité de la relation de Macron avec ceux-là, et plus généralement avec tous ceux qui se sont déclarés choqués par la vulgarité du verbe utilisé. Pour ces derniers, c’est l’acte même de la profération de l’énoncé polémique qui, revêtant un aspect excrémenteux, souille la majesté de l’Etat. Rappelons que celle-ci avait déjà été mise en mal par l’exercice des deux précédents présidents. Emmanuel Macron ne fait qu’amplifier cette tendance.
Le détour par Machiavel, certes pertinent, n’épuise pas l’interprétation du phénomène analysé. Il faudrait resituer les paroles du chef de l’Etat dans le contexte de notre époque. Il règne dans le monde d’aujourd’hui, selon le politologue Pierre Rosanvallon, une atmosphère de « populisme diffus », au-delà des populismes doctrinalement définis. Ainsi, le mouvement En marche, créé par Emmanuel Macron, se signale par une verticalité typiquement populiste, alors que ses idées s’inscrivent dans une configuration clairement libérale. On retrouve aussi cette verticalité dans le mouvement de Jean-Luc Mélenchon, La France insoumise.
Une stratégie fondamentalement populiste
Si l’on suit Ernesto Laclau, « le populisme n’est pas une idéologie mais un mode de construction du politique » ; le même penseur voit dans le projet populiste une radicalisation de la politique comme processus de construction et d’activation d’un rapport ami/ennemi. Dans cette configuration, le registre des passions et des émotions joue un rôle décisif dans la mobilisation politique ; c’est là un phénomène nouveau, car les affrontements s’organisaient auparavant autour des catégories collectives (la bourgeoisie) ou des icônes idéalisées (la Patrie), les unes et les autres abstraites. Les mouvements populistes insistent maintenant sur la puissance des affects pour construire le sentiment qu’il existe des mondes étrangers qui se font face, entre « eux » et « nous » ; cela ne peut s’exprimer que par une rhétorique violente.
Pour revenir aux déclarations polémiques d’Emmanuel Macron, elles ne sont pas, à mon sens, le fruit pourri d’un dérapage mais elles font partie d’une stratégie, fondamentalement populiste, adoptée par le chef de l’Etat. Ce dernier a, me semble-t-il, parfaitement saisi, à l’instar d’autres leaders populistes ou pas, le rôle joué par les émotions dans la sphère politique. Ses propos, souvent pointés comme clivants, le sont intentionnellement.
Ainsi, en disant ce qu’il a dit au moment où il l’a dit, il espère introduire une sorte d’antagonisme – concept central chez Laclau qui caractérise des conflits pour lesquels il ne peut exister d’issue rationnelle et pacifique – entre les vaccinés, citoyens par excellence participant de façon responsable à la nation, et ces « irresponsables » de non-vaccinés qu’il faut donc « emmerder » par des incitations négatives, car réfractaires à la persuasion douce. Il veut ainsi amplifier la réprobation suscitée dans les réseaux sociaux par les images d’antivax, agressifs, vociférant près de l’Assemblée nationale.
Pour finir, on assiste à une « zemmourisation » de la stratégie de Macron – une jupinisation de Jupiter – lisible dans sa phraséologie, en vue de la conservation du pouvoir en 2022. On peut prédire l’extension du phénomène à (presque) tous les candidats à la présidentielle, favorisée par l’atmosphère de populisme diffus qui règne dans notre monde.
Jean-Louis Robert, Sainte-Clotilde (La Réunion)
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