La hantise du déclin chez les catholiques ?
Le politiste Yann Raison du Cleuziou analyse, dans une tribune au « Monde », le succès d’Eric Zemmour auprès des militants catholiques, alors même que son obsession pour la théorie raciste du « grand remplacement » s’oppose aux positions du pape.
Le parallèle était saisissant. Le dimanche 5 décembre 2021, en Grèce, le pape François tirait pendant la messe les leçons de sa rencontre avec les migrants parqués à Lesbos : « Je prie Dieu de nous réveiller de l’oubli de ceux qui souffrent, de nous secouer de l’individualisme qui exclut, de réveiller les cœurs sourds aux besoins des autres. » Il ajoutait encore : « Luttons à la racine contre cette pensée dominante, cette pensée qui se concentre sur son propre moi, sur les égoïsmes personnels et nationaux, qui deviennent la mesure et le critère de toute chose. »
En France, quelques heures plus tard, Eric Zemmour rassemblait ses partisans lors d’un meeting à Villepinte [Seine-Saint-Denis]. A la tribune, pour le soutenir, les différentes branches du catholicisme conservateur, jusqu’alors divisées entre le Rassemblement national et les Républicains, convergeaient : Laurence Trochu apportait le soutien du Mouvement conservateur (ex-Sens commun), Jean-Frédéric Poisson celui du Parti chrétien-démocrate (créé par Christine Boutin pour prolonger l’action du Forum des républicains sociaux) [et rebaptisé VIA, la voie du peuple, en 2020], enfin la Lyonnaise Agnès Marion engageait le Cercle Fraternité, jusqu’alors défenseur d’une politique familiale conservatrice au sein du Front national.
Sans doute ne faut-il pas perdre de vue que le catholicisme est un univers clivé et que les conservateurs n’en représentent qu’une sensibilité minoritaire. Mais, dans un contexte de déclin de la pratique religieuse, leur influence au sein de l’Eglise est croissante en raison de leurs familles nombreuses, au sein desquelles, tendanciellement, la foi se transmet avec plus de succès que dans l’aile gauche. Le succès d’Eric Zemmour auprès des militants catholiques nécessite donc d’être interrogé, car il peut avoir des effets durables sur le catholicisme français.
Comment expliquer que l’obsession du « grand remplacement » de l’ancien journaliste du Figaro, si antagoniste avec les positions du pape, ne freine pas le ralliement des catholiques ? Comment réduisent-ils la dissonance cognitive ? Celle-ci est potentiellement d’autant plus forte que Renaud Camus [le polémiste ayant popularisé cette théorie raciste] fut une figure de la cause homosexuelle avant de devenir le contempteur de la décadence nationale. Mais s’intéresser à la réception de son œuvre serait une fausse piste. En fait, la thématique est déjà acclimatée depuis longtemps dans les imaginaires du catholicisme de droite. Si les flux migratoires inquiètent tant, c’est parce qu’ils mettent à l’épreuve une faiblesse politique du christianisme, dont les catholiques conservateurs sont bien conscients et qu’ils tentent d’exorciser.
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