Pour un apprentissage des méthodes de débat
Les deux professeurs Irena Descubes et Yann Duzert proposent, dans une tribune au « Monde », de mettre au cœur du nouvel Institut national du service public, créé le 1er janvier, la capacité à « parler à l’ensemble des parties prenantes ».
L’ensemble des hauts fonctionnaires va être amené à suivre une formation commune au sein de l’Institut national du service public (INSP), qui a ouvert le 1er janvier 2022. C’est l’occasion ou jamais de renouveler les modes d’intervention étatique, en mettant au cœur de l’action publique la capacité à négocier.
Sur bien des sujets, en effet, il est devenu aujourd’hui indispensable de réunir autour de la table l’ensemble des parties prenantes et d’arriver à un accord, si l’on veut aboutir à des décisions communes, réellement acceptées et mises en œuvre. Un modus operandi qui nécessite une très bonne maîtrise des techniques de négociation, malheureusement trop rare dans la haute fonction publique française.
Les situations de blocage de longue durée se sont multipliées ces dernières années. On peut citer l’affaire de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) ou la crise des « gilets jaunes ». On y a vu l’Etat embourbé pendant de longs mois.
Mais la question est plus large. Au quotidien, on voit la grande difficulté de beaucoup d’autorités morales à convaincre. Les patients ne suivent, en moyenne, que la moitié des prescriptions faites par leurs médecins ! Ne pas prendre le temps de discuter avec eux, d’entendre leur point de vue, pour négocier et les faire évoluer, coûte finalement très cher…
Dans les hôpitaux, les autorités administratives et les médecins tirent également à hue et à dia, souvent sans parvenir à s’entendre, au détriment du fonctionnement des services. En matière de justice aussi, une meilleure capacité à négocier serait cruciale. Aux Etats-Unis, plus de 90 % des conflits civils sont réglés par des accords négociés. Beaucoup d’affaires en France pourraient être traitées grâce à des médiations et cesser d’engorger les tribunaux. Au Brésil, nous avons formé des magistrats pour minimiser le nombre d’appels sur des questions écologiques sensibles. Les résultats ont été au rendez-vous.
Des recherches récentes en sciences cognitives, en psychologie expérimentale, en théorie des jeux, en sciences de l’information, ont profondément renouvelé les approches de la négociation. Les négociateurs modernes appliquent les concepts de l’autopoïèse, cette capacité du vivant à se renouveler dans des environnements complexes et incertains. Ils pratiquent l’« énaction » du neurobiologiste Francisco Varela, cette capacité à faire surgir du neuf, à penser hors du cadre. Ces nouvelles connaissances, nées en France, sont enseignées au plus haut niveau dans des pays comme la Chine, les Etats-Unis, le Brésil. La France est en retard de vingt ans en ce domaine.
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