Présidentielle : Taubira, la candidature de division et de confusion
C’est l’avis d’Anne Hidalgo qui évidemment voit cette candidature diviser encore davantage une gauche déjà éclatée. Dans le JDD elle condamne cette confusion.
interview
Christiane Taubira a annoncé samedi sa candidature à la présidentielle dans le cadre de la primaire populaire. Est-ce la candidature de trop à gauche?
Comme son nom ne l’indique pas, la primaire populaire n’est plus une primaire, mais une consultation. Des citoyens vont noter tous les candidats, que ces derniers soient d’accord ou non avec ce processus. Et après? Aucun candidat ne se retirera parce qu’il aura été mal classé! Moi pas plus que les autres. Si ce processus aboutit à une candidature supplémentaire, ce n’était ni le but du jeu, ni le besoin de la gauche. Plutôt que d’unir, la candidature de Christiane Taubira va encore séparer, diviser et créer de la confusion. A la fin, chacun sera comptable de ses actes et de ses paroles.
Quel message, justement, adressez-vous à Christiane Taubira?
J’ai beaucoup de respect pour elle. Mais pourquoi est-elle candidate, elle qui en décembre affirmait ne pas vouloir être une candidate de plus? Les hommes et les femmes providentiels, je n’y crois pas! Sauf dans des circonstances exceptionnelles, comme de Gaulle le 17 juin 1940. Mais dans le monde actuel ça n’existe pas. La politique, c’est de la construction, du travail d’équipe, moi, je suis une bâtisseuse.
Vous sentez-vous soutenue par le PS, qui semble manifester de plus en plus de doutes?
Je me sens entièrement soutenue par mon parti et ses militants, qui m’ont investie et font campagne tous les jours sur le terrain. La gauche doit pouvoir offrir aux Français une autre vision de la société dans une confrontation politique pacifique. Cinq ans de plus avec Macron, ce serait très périlleux. Il divise le pays et le dirige avec une forme de brutalité sociale et d’aveuglement sur l’écologie. Après 2030, nous basculerons dans l’irréversibilité des dégâts environnementaux. Si on n’a pas conscience de ça, alors il vaut mieux faire autre chose que candidat à la présidentielle. Emmanuel Macron et Valérie Pécresse, eux, sont là pour que rien ne vienne bousculer les intérêts de ceux qui n’ont pas intérêt à ce que ça change.
Vous avez initialement refusé la primaire, puis soutenu le processus avant d’annoncer que vous n’y participeriez pas. N’est-ce pas compliqué à suivre?
Vous ne pouvez pas présenter les choses ainsi! J’ai essayé de rassembler plutôt que de créer de la confusion. J’ai proposé une primaire arbitrée par un vote, après des débats, pour une candidature commune ; Yannick Jadot l’a refusée. Donc il n’y aura pas de primaire. J’étais prête à me mettre en danger : je voulais gagner cette primaire, mais j’aurais aussi pu la perdre. Si ça avait été le cas, j’aurais soutenu le ou la gagnante. Si Yannick Jadot avait joué le jeu, il aurait pu y avoir 1 million d’inscrits à cette primaire. Il a fermé la porte. Ce n’est pas responsable.
Que doivent faire les militants socialistes qui se sont inscrits pour voter à la primaire populaire?
C’est très bien de s’être inscrits. Chacun est libre bien sûr.
Que diriez-vous à un électeur hésitant entre vous et Jadot pour le convaincre?
Que l’écologie est avant tout sociale. En Allemagne, on nous disait que c’était la fin de la social-démocratie et que c’était autour de l’écologie que le projet allait se reconstruire : finalement, les Allemands ont compris que c’était Olaf Scholz qui apportait des solutions, car il n’opposait pas l’écologie à l’économie, ni l’écologie au social. Il se passera la même chose en France. Et puis, je suis solide, j’ai l’expérience de l’exercice du pouvoir. Je sais ce que c’est que de conduire une coalition.
Vous déclarez : « Je ne veux pas juste l’écologie, je veux l’écologie juste. » Qu’entendez-vous par-là?
Pour moi, l’écologie doit irriguer l’ensemble des politiques publiques. L’écologie politique autonome est un courant de pensée mais, aujourd’hui, l’urgence écologique est d’abord une urgence sociale. Les plus riches, ceux qui ont le bilan carbone et l’impact environnemental le plus fort car ils consomment beaucoup, ne sont pas ceux qui paient les conséquences de l’urgence climatique. Or qui paie ? Les populations les plus pauvres, les plus vulnérables, ou encore les classes moyennes. Pour qu’ils ne subissent plus, il faut que le projet écologique soit d’abord un projet social.
Que proposez-vous en ce sens?
Je veux rétablir un ISF climatique et social, dont le produit – chiffré à 5 milliards d’euros par an – sera utilisé pour mettre en œuvre des mesures sociales, telles que la prise en charge intégrale des dépenses de rénovation énergétique des logements. L’Etat sera remboursé au moment de la vente du bien ou de la succession. Je créerai aussi un système de leasing social : des véhicules électriques seront accessibles aux particuliers, pour un coût mensuel inférieur aux frais d’un véhicule thermique. L’écologie est notre horizon. Toutes les mesures pour l’atteindre doivent être pensées pour être justes socialement.
Votre programme met l’accent sur la « revalorisation du travail » avec une mesure phare : une augmentation du smic de 15%. Pourquoi ce choix?
En France, les salaires de ceux qui sont en première ligne, comme les classes moyennes et les classes populaires, sont extrêmement faibles. Augmenter le smic de 15% est une mesure de rattrapage des inégalités salariales. Durant le quinquennat d’Emmanuel Macron, la répartition de la valeur a été dramatiquement inégalitaire. C’est aussi pour ça que je veux limiter les écarts de salaires de 1 à 20 dans une entreprise : les rémunérations qui dépasseront cette limite ne seront plus déductibles de l’impôt sur les sociétés. Ce problème de salaire se combine avec celui des logements, devenus très chers. Aujourd’hui, le budget logement peut représenter jusqu’à 50% des revenus des ménages. Nous mettrons en place une allocation logement pour qu’aucun ménage n’y consacre plus d’un tiers de ses revenus.
Y aura-t-il d’autres mesures de rattrapage?
Nous devons atteindre une égalité effective entre les salaires des hommes et des femmes, avec plus de contrôle et des pénalités pour les entreprises. Au titre de l’égalité professionnelle, le congé paternité sera allongé à 16 semaines dont 6 obligatoires. Dans le creusement des inégalités entre les hommes et les femmes, la question de la maternité joue un rôle central. La réussite professionnelle de l’un des deux parents ne doit pas reposer sur le sacrifice de l’autre.
Votre proposition de doubler les salaires des professeurs a disparu de votre programme. Pourquoi?
Quand j’écrivais dans mon livre qu’il était possible d’aller vers un doublement de leur salaire, je donnais un cap, qui est traduit dans mon programme. Je disais aussi que l’on doit commencer par la rémunération des jeunes enseignants : ils démarrent leur carrière à un niveau de salaire qui n’a rien à voir avec celui des jeunes diplômés entrant sur le marché du travail. Les professeurs des écoles doivent pouvoir entamer leur carrière à 2.300 euros, au lieu de 1.770 euros aujourd’hui, et la terminer à 4.000 euros au lieu de 2.500 aujourd’hui.
Vous parlez d’un régime à « bout de souffle ». Pourquoi ne pas opter pour une VIe République et une constituante, comme Jean-Luc Mélenchon?
Vouloir mettre sur pied une VIe République, c’est se lancer dans une aventure qui occupera tout le quinquennat et divisera encore notre pays. Nous devons consacrer toute notre énergie à relever les défis écologique, social et démocratique. Une partie des solutions réside dans l’interprétation de la Ve. Emmanuel Macron a abîmé la fonction présidentielle et le débat démocratique. Je veux introduire une dose de proportionnelle et renforcer les prérogatives du Parlement en supprimant notamment les limites au droit d’amendement. L’utilisation du 49.3, qui permet de faire adopter une loi sans vote, ne sera plus possible sauf pour la loi de finance. Il y aura aussi des évolutions de la Constitution pour donner plus de pouvoir direct aux citoyens. Je mettrai en place un référendum d’initiative citoyenne (RIC), une revendication portée par les Gilets Jaunes. Pour le déclencher, il faudra récolter, par exemple, 1 million de signatures. Comme pour le référendum d’initiative partagée (RIP), dont le seuil est actuellement à 4,7 millions.
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