La BCE au service de la haute finance

La BCE au service de la haute finance

Michel Santi est l’auteur de « Splendeurs et misères du libéralisme », ouvrage dans lequel il s’interroge sur les raisons de la crise qui secoue l’Europe. Dans cette chronique, il considère que l’indépendance de la Banque centrale européenne a eu pour conséquence de retirer aux États la pleine maîtrise de leurs finances publiques en les obligeant à se financer auprès des banques. Selon lui, la « sacro-sainte » stabilité des prix est assurée au détriment de la stabilité macro-économique.( chronique dans la Tribune)

 

Quand comprendra-t-on enfin que les déboires européens actuels ne sont en rien dus aux endettements publics ? Pourquoi l’orthodoxie, la pensée dominante, l’écrasante majorité des économistes, comme les dirigeants politiques (qui n’y comprennent pas grand-chose), s’obstinent-ils à considérer cette crise comme celle des « dettes souveraines » européennes ? Un petit rappel historique serait à cet égard éclairant. D’Histoire de France en l’occurrence, car c’est une loi française du début des années 70 qui devait consacrer cette orthodoxie financière – et figer dans le marbre la sacro-saint indépendance des banques centrales -, responsable des ravages actuels de l’Union européenne !

La finance a mis la main sur les politique monétaires

Le 3 janvier 1973 étaient en effet adoptés les nouveaux statuts de la Banque de France qui devaient révolutionner le job de banquier central, le transformant ainsi en une sorte de personnage « téflon » – totalement antiadhésif – n’ayant nul compte à rendre à l’exécutif de son pays ni à ses concitoyens. C’est effectivement à 1973 et à cette loi française qu’il est possible de dater le début de l’irresponsabilité des banques centrales, et particulièrement dans son article 25 qui indique que « le Trésor public ne peut être présentateur de ses propres effets à l’escompte de la Banque de France ». Tournant crucial donc dans la gestion des finances publiques des nations occidentales qui emboitèrent le pas à la France. Les Etats étant dès lors – et de facto – définitivement à la merci du système bancaire, puisque leurs Trésoreries n’étaient plus en droit d’emprunter auprès de leurs banque centrale.

Etape historique sur le chemin de la libéralisation financière internationale, franchie et initiée par la France qui s’interdisait dorénavant de recourir à la planche à billets de sa banque centrale en cas de besoin. Problématique d’une actualité brûlante dans le contexte européen d’aujourd’hui ! L’adoption de cette loi ne devant du reste rien au hasard à une époque où la France était présidée par un ancien banquier, à savoir Georges Pompidou. Dans un contexte où, suite à la décision du Président américain Nixon en 1971 de suspendre tous les achats et ventes d’or, le billet vert n’était plus convertible en métal jaune. Et dans une atmosphère de tension financière internationale où les américains espéraient tirer leur épingle du jeu, illustrée par la fameuse répartie du Secrétaire au Trésor de l’époque John Connally : « le dollar est notre monnaie mais c’est votre problème » !

Bref, l’effondrement du système instauré à Bretton Woods en 1944 (sous l’impulsion de Keynes) inaugurait une nouvelle période où les risques étaient appelés à être assumés par les investisseurs, désormais confrontés aux aléas des fluctuations monétaires. L’abandon de cette convertibilité ayant par ailleurs des conséquences fondamentales sur les acteurs financiers qui ne manqueraient évidemment pas de saisir toutes les opportunités offertes par la spéculation sur la volatilité naissante du marché des changes. La dérégulation et la libéralisation du secteur financier constituaient donc le préalable incontournable qui autoriserait ses intervenants à profiter des fluctuations de ce nouveau marché. C’est donc dans cet environnement que s’est imposé le concept d’indépendance des banques centrales dont l’objectif était de stériliser la politique monétaire.

Le banquier central dans une tour d’ivoire

Et de la soustraire à toute ingérence de la part de politiques trop souvent enclins à l’utiliser à des fins de relance économique, au risque d’attiser l’inflation. Dès lors, le banquier central devait se complaire dans son splendide isolement. Il se transformait en une sorte de cardinal – ou d’éminence grise – emmuré dans un conclave permanent et prompt à distiller la fumée noire afin d’empêcher toute velléité de monétisation de sa dette par l’exécutif de son pays. Voilà le banquier central – responsable devant personne – qui disposait donc du pouvoir de sanction vis-à-vis des élus. Du coup, la politique monétaire – c’est-à-dire la cruciale définition des taux d’intérêt – en devenait passive. Elle se contentait en effet de répercuter et de se faire l’écho des volontés et du dictat de la haute finance.

Cette loi française de 1973 fut par la suite abrogée…mais seulement pour être remplacée en 1992 par le Traité de Maastricht et en 2009 par celui de Lisbonne qui défendaient jalousement la même orthodoxie. A savoir de prévenir toute facilité de découvert ou de crédit consentis par la Banque centrale européenne en faveur de gouvernements, de régions ou de collectivités locales membres de l’Union. Comme nos Etats ne pouvaient plus faire appel à leur banque centrale afin de financer leurs comptes et dépenses publics en cas de besoin, nous sommes donc tous devenus dépendants du système bancaire commercial qui, lui, était bel et bien en mesure de créer des liquidités en privé à partir du néant pour les prêter à nos Etats moyennant intérêts.

Intouchable stabilité des prix au mépris de la stabilité macro-économique

Pratique inaugurée dès 1973 par la France mais qui s’avère aujourd’hui quasi globale puisqu’une étude du F.M.I. révèle effectivement que deux-tiers des 152 banques centrales autour du globe restreignent considérablement – quand elles n’empêchent pas tout court – tout prêt ou toute mise à disposition des banques centrales en faveur de leur gouvernement. Au nom de la très vénérable et de l’intouchable « stabilité des prix ». Au mépris de la stabilité macroéconomique. Et tant pis si les frais de financements de leurs dettes par nos Etats atteignent des sommets intenables, et pour les finances publiques, et pour la croissance, et pour le pouvoir d’achat du citoyen… Utilisant les données fournies par Eurostat, un économiste britannique d’Oxford, Simon Thorpe, parvient ainsi à la conclusion que les seuls intérêts payés en 2011 par l’Union européenne sur sa dette publique se montent à 371 milliards d’euros, soit près de 3% du P.I.B. de l’ensemble de ses membres !

Tel est donc le prix à payer pour l’indépendance de la BCE. Dans une conjoncture de déprime européenne absolue, burinée d’effondrement des recettes fiscales, de rétrécissement des aides sociales et d’envolée du chômage. Avec des Etats qui, afin de financer leur train de vie – donc le nôtre ! – se retrouvent contraints de descendre dans l’arène des marchés financiers, lesquels ne se privent évidemment pas de faire monter les enchères en même temps qu’ils imposent l’austérité avec, à la clé, davantage de récession. Simplement parce qu’il nous est impossible de nous financer auprès de nos banquiers centraux qui se drapent dans leur toge d’indépendance. Indépendance qui n’est en réalité qu’un rideau de fumée destiné à masquer leur allégeance au système bancaire.

*Michel Santi est un économiste franco-suisse qui conseille des banques centrales de pays émergents. Il est membre du World Economic Forum, de l’IFRI et est membre fondateur de l’O.N.G. « Finance Watch ». Il est aussi l’auteur de l’ouvrage « Splendeurs et misères du libéralisme« 

Michel Santi, économiste*

0 Réponses à “La BCE au service de la haute finance”


  • Aucun commentaire

Laisser un Commentaire




L'actu écologique |
bessay |
Mr. Sandro's Blog |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | astucesquotidiennes
| MIEUX-ETRE
| louis crusol