« Misère de l’homme sans Dieu »
Une quinzaine d’auteurs relisent l’œuvre de l’écrivain Michel Houellebecq au regard de la foi. ( chronique dans le Monde)
« Il faudrait réveiller les puissances opprimées/ La soif d’éternité, douteuse et pathétique. » Ces vers, cités par le théologien Olivier-Thomas Venard dans son étude sur ce « drôle de paroissien » qu’est Michel Houellebecq, disent peut-être tout ce qu’il y a à savoir sur la place de la foi religieuse chez l’auteur d’Anéantir : une aspiration indéracinable, au conditionnel. Croire est impossible. Vivre sans croire l’est aussi. Nous sommes devenus trop lucides, et ne pouvons, alors que Dieu s’absente, qu’éprouver la nostalgie d’un temps où l’espérance arrachait l’humanité à la contemplation du vide, ce qui signifie aussi : l’aveuglait, pathétique bonheur.
Sans le trancher, la quinzaine d’auteurs réunis par Caroline Julliot et Agathe Novak-Lechevalier dans Misère de l’homme sans Dieu mettent ce nœud gordien à la place éminente qui lui revient dans l’œuvre romanesque et poétique de Houellebecq. Non pour en révéler quelque dimension secrète – tout cela, en réalité, crève les yeux –, mais parce que la relire sous l’angle de cette nostalgie impuissante permet de réordonner une série d’éléments parfois négligés, ou qui ont semblé anecdotiques. Leur constance et leur force laissent pourtant peu de doutes sur l’importance que l’écrivain leur accorde.
Du prêtre défroqué d’Extension du domaine de la lutte aux élans ambigus du narrateur de Sérotonine, des délires sectaires de La Possibilité d’une île à la renaissance du théologico-politique dans Soumission, Michel Houellebecq n’a, de fait, cessé de représenter ou d’inventer les formes que peut prendre le sentiment religieux à l’ère du rationalisme libéral. Tour à tour élégiaque et ricanant, il explore tous azimuts un champ qui se révèle, à chaque fois, une impasse, reconduisant la « terreur pure » que recèle pour lui la vision pascalienne de la « misère de l’homme sans Dieu ». Mais tel est le rôle que Dieu peut continuer de jouer : nous rappeler, par son absence même, que l’impasse est notre milieu naturel. Et qu’il n’y a de grandeur pour nous, désormais, qu’à savoir la regarder en face.
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