Covid-Ouvrir la question du tri des patients
Médecin anesthésiste et philosophe, Philippe Bizouarn regrette, dans une tribune au « Monde », qu’aucune réflexion éthique n’ait encore été menée ouvertement sur le tri des patients face à l’engorgement des services de réanimation pendant la pandémie.
D’après un document de travail élaboré par des réanimateurs marseillais [révélé par le média en ligne Mediapart le 24 décembre 2021], un tri pourrait se faire parmi les patients atteints du Covid-19, du fait du manque de places disponibles en réanimation. Dans le scénario catastrophe envisagé par les réanimateurs, les patients de plus de 65 ans jugés fragiles pourraient ne pas être admis. Le débat sur la priorisation des patients atteints du Covid-19 n’est hélas pas nouveau. La situation en fin d’été aux Antilles a encore révélé que, faute de place, tous les patients ne pouvaient être admis en réanimation. La situation en métropole risque, une nouvelle fois, de souligner combien ce problème à la fois éthique – qui admettre ? – et politique – de combien de lits disposons-nous ? – risque d’entraîner des conflits au sein des hôpitaux et de la société civile.
Idéalement, en cas d’adéquation entre les besoins et les ressources, le devoir des soignants est d’admettre en réanimation tout patient pouvant en bénéficier, selon un principe individuel de proportionnalité, justifié selon des critères médicaux (état du patient, comorbidités) et non médicaux (volonté du patient, degré d’autonomie, etc.), et selon un principe collectif d’égalité d’accès aux soins. En cas d’inadéquation entre les besoins et les ressources, devenue habituelle dans un contexte de macro-allocation à l’échelle du pays choisissant de prioriser tel ou tel service public, ou inhabituelle en cas de catastrophe sanitaire, le principe d’utilité – sauver le plus grand nombre de vies – semble moralement justifié.
Dans cette perspective, les sociétés savantes de réanimation ont émis, en avril 2020, des recommandations portant sur des critères les plus objectifs possibles d’admission en réanimation de patients atteints du Covid-19, afin d’éviter aux soignants de prendre des décisions arbitraires sous le coup de la fatigue et de l’émotion. Ainsi, les décisions d’admission ou de non-admission en réanimation reposaient sur la gravité des cas, privilégiant de fait les patients ayant le plus de chance de survivre. Aucun critère d’âge n’était admis, même s’il est clair que les plus âgés, jugés trop fragiles, ne pouvaient bénéficier des soins de réanimation dans ces situations d’afflux massif de patients.
Il est difficile de savoir si ces recommandations ont pu être évaluées au sein de chaque hôpital ; il semble toutefois qu’elles aient recueilli l’assentiment du plus grand nombre de soignants, même si des débats ont pu avoir lieu, par l’intermédiaire de comités d’éthique locaux ou non, sur la pertinence de ces critères, perçus parfois comme trop arbitraires. Dans tous les cas en effet, ces pratiques de triage ont conduit à des dilemmes moraux pour les soignants, les patients et les familles.
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