Tribune
L’ampleur des défis auxquels est confronté le secteur agroalimentaire européen est sans précédent, et les récents débats qui ont entouré l’adoption par le Parlement européen de sa position sur la stratégie « De la ferme à la fourchette » a une fois de plus démontré la sensibilité des enjeux.
Le programme de travail que s’est donné l’Union européenne (UE) est également sans comparaison. Dans les prochaines années, elle devra, tout à la fois, adopter et mettre en oeuvre les stratégies nationales qui font suite à la réforme de la PAC, adopter les lois européennes pour atteindre la neutralité carbone dans tous les secteurs économiques – dont la chaîne agroalimentaire – et contribuer aux discussions internationales sur le sujet, y compris dans le domaine commercial. Cette concomitance d’agendas met au défi tous les acteurs de ne plus penser en silos.
Le diagnostic est là. L’agriculture subit d’ores et déjà une absence de renouvellement des générations, induisant des changements profonds dans la vitalité des zones rurales. L’UE est le premier exportateur mondial de produits agroalimentaires, principalement des produits transformés à haute valeur ajoutée, tandis qu’elle importe principalement des produits végétaux.
Les Européens consomment deux fois plus de viande que la moyenne mondiale. Mais ils ont déjà commencé à modérer leur consommation et s’interrogent de plus en plus sur ses impacts sur les écosystèmes, en Europe et ailleurs. D’ici à 2030, les émissions de gaz à effet de serre européennes devront être réduites de 55 %. Le secteur agroalimentaire contribue pour 10 % à ces émissions, et en son sein, si la transformation et la distribution y ont une part importante, 70 % environ proviennent de la production primaire.
Alors que les secteurs de la transformation et de la distribution génèrent à eux deux une valeur ajoutée supérieure à tous les autres secteurs de la chaîne, le revenu moyen des agriculteurs européens s’élève à 40 % de celui de l’ensemble de la population. Rien de surprenant qu’en moyenne, les aides publiques s’élèvent à 36 % de leurs revenus pour compenser cette différence.
La productivité et la compétitivité du secteur stagnent depuis plusieurs années et les investissements dans la recherche et l’innovation sont moindres que dans les autres secteurs. De manière particulièrement inquiétante, le secteur financier se tourne encore peu vers l’innovation verte dans le secteur agroalimentaire.
Nouveau système
Devant un tel diagnostic, l’Europe a besoin d’un changement systémique. Tous les acteurs de la chaîne devront prendre leur part équitable, à l’issue d’un dialogue avec les autorités publiques européennes et nationales, en reconnaissant les contraintes de tous mais également la responsabilité de chacun.
Il faudra que l’Europe se dote à terme d’une politique agroalimentaire globale et cohérente. La stratégie « De la ferme à la fourchette » est une première étape. Mais la politique agricole commune a été pensée avant, et elle est mise en oeuvre selon ses propres instruments. Les deux approches devront être réconciliées.
secteur agroalimentaire européen est trop intégré dans les échanges internationaux pour penser l’en couper. Mais il est légitime que les Européens s’interrogent sur l’empreinte écologique de leur mode de consommation, et donc sur leurs importations en provenance des pays aux politiques environnementales ou aux normes éthiques moins exigeantes que les nôtres. La crête est étroite entre protectionnisme et « précautionnisme », mais elle devra être suivie.
Enfin, entre le modèle d’aujourd’hui et les objectifs fixés pour demain, aucune trajectoire claire n’est encore construite. Les acteurs doivent prendre des décisions économiques et financières maintenant. Les priorités dans ce contexte sont de stimuler la recherche et l’innovation et d’obtenir l’engagement des acteurs financiers.
Geneviève Pons est directrice générale et vice-présidente d’Europe Jacques Delors. Pascal Lamy est vice-président d’Europe Jacques Delors.
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