Inclusivité du vocabulaire contraire aux règles grammaticales
Le recours au masculin comme « catégorie lexicale supérieure englobante » est le résultat d’un processus historique, rappelle, dans une tribune au « Monde », le linguiste Patrick Charaudeau, qui précise que la langue n’est pas sexiste mais que les individus peuvent l’être.
Comme il le fait chaque année, le dictionnaire Le Robert a décidé d’introduire dans son édition de 2021 des mots nouveaux (« corona », « vaccinodrome », « distanciel », « antivax »), mots qui circulent en abondance dans l’espace public, diffusés par les médias et les réseaux sociaux, et qui sont largement employés par toutes les catégories de la population française, pandémie oblige. La grande surprise a été de voir arriver le pronom « iel ». Que peut-on en dire raisonnablement du point de vue linguistique ?
Tout d’abord, il faut savoir que, contrairement à ce que l’on dit dans les jeux télévisés, le dictionnaire n’est pas une autorité. Il n’édicte pas de règles. Il rend compte des mots qui circulent entre les membres d’une communauté linguistique et définit leur sens selon l’usage le plus répandu. De la grammaire, en revanche, on peut dire qu’elle fait autorité, en ce qu’elle décrit le fonctionnement de la langue comme condition d’entendement : elle dit la norme et édicte des règles. Le dictionnaire est en charge, principalement, des mots du lexique. Et lorsqu’il intègre des mots grammaticaux, c’est en se référant à ce qu’en disent les grammaires.
On n’a jamais vu, dans l’histoire des dictionnaires, l’intrusion de mots grammaticaux qui ne soient conformes à la grammaire. Or, que l’on sache, jusqu’à présent, les grammaires françaises n’ont pas enregistré un pronom ayant la forme « iel », dont on sait qu’il n’est employé que par quelques sujets écrivant dans le monde circonscrit de l’université.
Ensuite, on peut être étonné de ce choix. Pourquoi cette forme de pronom en particulier parmi l’ensemble des propositions de l’écriture inclusive ? Pourquoi ne pas intégrer également « illes », pour « ils/elles » ; « ul », « ol », « al », pour « il/elle » ; « ceuses », « celleux » pour « ceux/celles » ? Le regretté Alain Rey, qui dirigea longtemps Le Robert, préconisait d’enregistrer les usages les plus insolites, mais il s’agissait des mots du lexique, ce qui n’est pas ici le cas.
Quant à ce que pourrait être l’usage du pronom « iel », amalgame de « il » et « elle », on remarquera la contradiction inhérente à son emploi : le genre grammatical désigne des êtres de langage alors que le genre sexué désigne des personnes. En témoignent les pronoms dits impersonnels, comme dans les expressions « il pleut » ou « il est évident que ».
Le fond du problème réside dans le fait que l’écriture inclusive fait fi d’un phénomène qui caractérise toutes les langues à travers leur usage, à savoir le phénomène de neutralisation : neutralisation dans les systèmes phonétique, morphologique, syntaxique et sémantique. S’agissant de la reprise de substantifs par des pronoms, il est deux cas où s’exerce la neutralisation : les énoncés au pluriel et les énoncés à valeur de généralisation. Dire « les universitaires ont un double statut » neutralise l’opposition des genres en une entité globale qui les inclut. L’antécédent peut donc être repris par « ils sont enseignants et chercheurs », sans qu’il y ait discrimination d’un genre ou de l’autre.
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