Politique : Attention à la manipulation des sondages
Avec l’apparition d’Internet, les sociétés de sondage se sont peu à peu éloignées de la rigueur scientifique. Pour qu’elles la retrouvent, les commanditaires doivent imposer un standard de charte sur les informations à livrer, afin que les experts puissent effectuer une analyse de qualité, estime le statisticien Michel Lejeune, dans une tribune au « Monde ».
Tribune.
L’article récent de Luc Bronner (« Dans la fabrique opaque des sondages », Le Monde du 5 novembre 2021) a dû retourner bien des esprits. Il a donné la preuve évidente que les sondages d’opinion étaient loin d’avoir la qualité vantée par les sondeurs, aussi bien sur le plan de la sélection et du contrôle des échantillons que sur la nature des questionnaires. Pourtant, combien d’observateurs avertis n’ont-ils pas alertés sur les biais de sélection des access panels Internet devenus la norme ? On les a écoutés distraitement en revenant toujours vers la parole rassurante des sondeurs.
Avec l’apparition et l’usage d’Internet, les sociétés de sondage se sont détournées de la méthode scientifique. Dans leur positionnement concurrentiel, elles ont toutes cédé aux avantages des faibles coûts, de l’immédiat et de la prolifération aux dépens de la qualité. Elles ont développé une démarche empirique, laquelle, n’ayant pas de justification théorique, les a amenées à construire un discours pseudoscientifique séduisant mais peuplé de contre-vérités. Certes cette démarche peut, de temps à autre, donner des résultats jugés corrects dans les intentions de vote proches de la date du scrutin, mais elle n’offre aucune garantie a priori.
Un concept flou
Trois types de contre-vérités constituent le socle de la communication des sondeurs. Ils concernent la représentativité de leurs échantillons, les redressements et l’analyse des résultats. Examinons-les successivement.
Tous les sondages sont déclarés « représentatifs par la méthode des quotas ». Premier problème, au-delà de son sens historique très spécifique, il n’existe pas de définition de la représentativité. Il serait intéressant de poser la question de sa signification à ceux qui se réfèrent à ce terme. Pour chacun d’entre nous, c’est un concept flou qui assurerait que l’on puisse faire de bonnes estimations sur la population.
La formulation des sondeurs fait accroire que cela est garanti par la « méthode des quotas » du fait qu’elle produit, selon leurs termes, un « modèle réduit de la population ». Or ce modèle ne s’applique qu’à quatre critères sociodémographiques de quotas (âge, genre, profession, zone de résidence), ce qui est totalement insuffisant pour fournir de bonnes estimations.
Ainsi, comme l’a montré concrètement l’enquête du Monde, les échantillons issus des « access panels » [bases de données] n’ont pas cette qualité, quand bien même ils sont construits sur des quotas. D’ailleurs, le seul fait que les panélistes doivent être des internautes coutumiers, excluant d’emblée de l’ordre de 40 % de la population, selon les études de l’Insee, suffirait à le prouver.
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