La rhétorique dangereuse de Zemmour
Ce n’est pas Pétain qui a sauvé les juifs français, c’est la société française qui a « agi comme un garde-fou », rappelle, dans une tribune au « Monde », l’historien Jacques Semelin, qui compare la rhétorique du candidat d’extrême droite à celles des Serbes nationalistes en Bosnie et des idéologues hutu au Rwanda.
Vous vous présentez à la présidence de la République et vous commencez par tromper les Français sur un des points majeurs de l’histoire de France : durant l’Occupation nazie, si beaucoup de juifs n’ont pas été déportés, ce n’est pas grâce à Vichy, mais en dépit de Vichy. Dès 2014, vous vous étiez emparé de cette question jusqu’alors peu travaillée par les historiens : pourquoi une telle proportion de juifs (75 %), et en particulier de juifs français (85 %), ont-ils pu survivre en France ?
Vous qui vous targuez de culture historique, vous ne pouviez pas ignorer ces données, corroborées par plusieurs de mes pairs. Au lieu de cela, vous avez pioché des éléments très contestables chez un auteur peu reconnu par la communauté scientifique, tout en attaquant des historiens aussi rigoureux que Serge Klarsfeld.
Pour faire court, j’évoquerai les exemples du Danemark et de la France : les cas les plus représentatifs de la collaboration d’Etat. Dès 1940, le gouvernement danois, pourtant proche de l’occupant, déclare que Berlin ne peut toucher aux juifs, faisant valoir que ceux-ci font partie intégrante de la communauté nationale. Copenhague s’en tiendra à cette position qui rendra possible le sauvetage des juifs de ce pays.
Pétain, tout au contraire, publie, en 1940 puis en 1941, un premier puis un second statut des juifs, qui les met au ban de la société : il en dénaturalise plusieurs milliers et rend légal l’internement des juifs étrangers dans des camps. Tout est à l’avenant jusqu’à ce que, par étapes successives, le régime en vienne à arrêter des juifs français pour les livrer aux nazis.
Il est vrai que Vichy a d’abord visé en priorité les juifs étrangers, comme l’atteste la tragédie du Vél’d’Hiv. De concert avec l’occupant, les policiers français ont pour mission d’en arrêter au moins 27 000, mais ils en capturent exactement 12 884. Ce sont bien entendu 12 884 de trop, mais que s’est-il passé ? Paris a connu un mouvement de solidarité spontanée envers ces juifs, pour l’essentiel étrangers, grâce à des fuites en provenance de la Préfecture de police. Des milliers d’entre eux ont réussi à échapper aux mailles du filet avec la complicité d’une population choquée qu’on arrête femmes, enfants et personnes âgées. Cette aide est d’autant plus remarquable que la population était traversée par des préjugés xénophobes.
Ce soutien aux juifs étrangers s’exprime à nouveau en zone libre quelques semaines plus tard quand plusieurs hauts prélats catholiques élèvent des protestations, dont la plus connue est celle de l’archevêque de Toulouse, Jules Saliège. Le 23 août 1942, les églises de ce diocèse résonnent de son cri : « Les juifs sont des hommes, les juifs sont des femmes, les étrangers sont des hommes, les étrangères sont des femmes. Tout n’est pas permis contre eux. » Vous oubliez d’en parler, M. Zemmour, alors que ces mots sont l’honneur de la France au pire moment : celui du génocide.
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