Non à une gestion technocratique de la justice

Non à une gestion technocratique de la justice

 

Un collectif de juges, substituts, greffiers dénonce, dans une tribune au « Monde », l’approche « gestionnaire » de la justice et souligne la « discordance » entre la volonté de rendre une justice de qualité et la réalité du quotidien, source de grandes souffrances.

 

Tribune. 

 

Notre rentrée a commencé devant l’église Saint-Michel de Lille, lundi 30 août. Nous enterrions Charlotte, notre jeune collègue de 29 ans, qui s’est suicidée le 23 août. Cela faisait deux ans qu’elle était magistrate, juge placée [auprès du premier président d’une cour d’appel], envoyée de tribunaux en tribunaux pour compléter les effectifs des juridictions en souffrance du Nord et du Pas-de-Calais. Charlotte mesurait la charge de travail et le niveau d’exigence qu’elle devait atteindre pour devenir la magistrate humaine et rigoureuse qu’elle souhaitait être. Nous souhaitons affirmer que son éthique professionnelle s’est heurtée à la violence du fonctionnement de notre institution.

Charlotte a eu deux années de fonctions particulièrement éprouvantes et elle a surmonté les événements avec un grand professionnalisme, un enthousiasme et une implication indéniables. A sa sortie de l’école de la magistrature, unique juge au sein d’un tribunal d’instance, elle a su faire face avec persévérance à plusieurs situations inédites, telles que la gestion des urgences pendant le premier confinement, seule, le personnel de greffe ayant été congédié, puis la mise en œuvre d’une réforme conduisant à la suppression de ce même tribunal.

A ces conditions de travail difficiles s’ajoutaient des injonctions d’aller toujours plus vite et de faire du chiffre. Mais Charlotte refusait de faire primer la quantité sur la qualité. Elle refusait de travailler de façon dégradée. A plusieurs reprises, au cours de l’année qui a précédé son décès, Charlotte a alerté ses collègues sur la souffrance que lui causait son travail. Comme beaucoup, elle a travaillé durant presque tous ses week-ends et ses vacances, mais cela n’a pas suffi. Se sont ensuivis un arrêt de travail, une première tentative de suicide. Nous souhaitons affirmer que Charlotte n’est pas un cas isolé.

C’est pourquoi nous, magistrats judiciaires, qui ne prenons que très rarement la parole publiquement, avons décidé aujourd’hui de sonner l’alarme. Autour de nous, les arrêts maladie se multiplient, tant chez les nouveaux magistrats que chez les magistrats plus expérimentés. L’importante discordance entre notre volonté de rendre une justice de qualité et la réalité de notre quotidien fait perdre le sens à notre métier et crée une grande souffrance.

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