Les facteurs explicatifs de l’inflation ?
Un article du Wall Street Journal évoque les facteurs explicatifs de l’envolée de l’inflation.
Aux Etats-Unis, les prix des produits alimentaires ont augmenté de 5,4 % entre octobre 2020 et octobre 2021.
Et l’inflation atteint son niveau le plus élevé en 31 ans, les prix d’un large éventail de biens et de services augmentant fortement en raison de la persistance de difficultés d’approvisionnement, des pénuries de main-d’œuvre et de la vigueur de la demande.
Alimentée par les déséquilibres économiques causés par la pandémie de Covid-19, l’inflation constitue aujourd’hui l’une des questions les plus épineuses pour les économistes et les responsables des politiques publiques – de la Réserve fédérale, qui fixe les taux d’intérêt, à l’administration Biden, en passant par le Congrès. Les facteurs de cette hausse des prix sont multiples, et les instruments habituellement déployés pour alléger les tensions inflationnistes peuvent, dans certaines circonstances, pousser l’économie vers la récession.
Dans cet article, nous faisons le point sur l’inflation et sur ses enjeux.
Qu’est-ce que l’inflation et en quoi nous concerne-t-elle ?
L’inflation désigne une augmentation générale des prix et une baisse de la valeur de l’argent. Cette hausse des prix est souvent le fruit d’une demande excessive par rapport à l’offre de produits ou de services disponible. Des prix plus élevés n’affectent pas nécessairement l’ensemble de l’économie, et seuls les consommateurs effectuant des achats subissent leur augmentation.
Ainsi, durant une grande partie de l’année écoulée, les prix des véhicules neufs se sont envolés à cause d’une pénurie de voitures liée au déficit de certains composants essentiels tels que les semi-conducteurs. Si cette hausse a eu un effet ricochet (la pénurie de véhicules neufs entraînant par exemple une augmentation de la demande de voitures d’occasion, dont les prix ont eux-mêmes grimpé), elle n’est perçue par les consommateurs que s’ils ont besoin d’acheter un véhicule.
De la même manière, la hausse des prix dans un secteur ne conduit pas forcément à une inflation générale à travers l’économie. Néanmoins, des hausses de prix affectant de nombreuses catégories de produits réduisent le pouvoir d’achat des consommateurs.
Quelles sont les causes actuelles de l’inflation ?
La poussée actuelle de l’inflation est liée à différents facteurs bien identifiés, dont beaucoup sont dus à la pandémie. D’abord, les ménages disposent d’une épargne importante, alimentée par les programmes de soutien publics et par leur incapacité, durant la crise sanitaire, à accéder à certains services frappés par des restrictions ; ils sont aujourd’hui désireux d’acheter des produits dont l’offre est insuffisante.
Ensuite, les actifs sont moins nombreux sur le marché du travail, ce qui encourage ceux qui travaillent à demander des augmentations de salaire, et freine la productivité globale. Ces facteurs, comme bien d’autres, entraînent une hausse des coûts.
Les prix de l’énergie, y compris ceux de l’essence, se sont renchéris, la production de pétrole et de gaz ne suivant pas le rythme de la reprise de la demande des ménages après la pandémie. Ce redressement de la demande a également provoqué des perturbations dans les chaînes d’approvisionnement. Le manque de conducteurs de poids lourds et de créneaux ou d’espace disponibles dans les ports et les entrepôts se traduit par des retards coûteux et une augmentation des tarifs d’expédition des biens.
Ces coûts supplémentaires à chaque étape du processus, depuis la production jusqu’à la vente, se répercutent sur les prix à la consommation, certaines entreprises saisissant l’occasion rare d’augmenter leurs prix.
A quelle vitesse les prix augmentent-ils ?
L’indice des prix à la consommation, qui est un indicateur clé de l’inflation, affiche une hausse de 6,2 % sur un an, selon les données publiées par le Département du Travail pour le mois d’octobre. Hors denrées alimentaires et énergie, qui peuvent être volatiles, l’inflation est un peu moins forte, à 4,6 %. Ces indicateurs montrent toutefois que la hausse des prix est générale, et bien supérieure aux objectifs d’inflation annuelle des banquiers centraux, qui se situent en moyenne autour de 2 %.
L’inflation annuelle atteint aujourd’hui son rythme le plus rapide depuis 1990, ce qui signifie qu’un tiers de la population n’a jamais connu une telle hausse des prix.
Comment l’inflation est-elle mesurée ?
Il existe différentes manières de mesurer l’inflation, y compris au sein des agences gouvernementales. La plus rapide est de recourir à l’indice des prix à la consommation du Département du Travail mentionné plus haut. Cet indice est calculé sur la base d’une enquête auprès des ménages et ne couvre que les dépenses en biens et services. Il exclut les dépenses qui ne sont pas directement payées par l’acquéreur, telles que les frais médicaux d’un patient pris en charge par son assurance santé. Cette portée limitée de l’indice peut le rendre plus volatile.
L’indice PCE, déflateur des dépenses de consommation, tient compte d’un large éventail de dépenses (et des remontées d’information des entreprises), fournissant une plus vaste vue d’ensemble de l’évolution des prix. L’indice PCE sous-jacent, qui exclut les denrées alimentaires et l’énergie, est l’instrument de mesure préféré de la Réserve fédérale en matière d’inflation. Le Département du Commerce publie chaque mois une estimation de l’indice PCE dans le cadre de son rapport sur les revenus et les dépenses.
Quels sont les biens ou services à l’origine de la hausse actuelle des prix ?
Les prix augmentent dans l’ensemble de l’économie, mais de manière hétérogène. En octobre, les prix de l’essence ont bondi de près de 50 % en glissement annuel, les portant à des niveaux inédits depuis 2014. Les prix des produits alimentaires ont grimpé de 5,4 %, ceux du porc affichant une hausse de 14,1 % en glissement annuel, la plus forte depuis 1990.
Les prix des véhicules neufs ont augmenté de 9,8 % en octobre, une hausse sans précédent depuis 1975, tandis que ceux de l’ameublement et de la literie ont enregistré leur plus forte progression depuis 1951. L’augmentation des prix des pneus et équipements de sport a été la plus importante depuis le début des années 1980. Certains achats ont toutefois été épargnés par l’inflation : les billets d’avions et l’alcool ont vu leurs prix baisser le mois dernier.
Le plein d’essence coûte beaucoup plus cher au consommateur. Le gouvernement peut-il intervenir ?
Face à l’augmentation des prix du pétrole et de l’essence, l’administration Biden envisage de puiser dans les réserves stratégiques américaines. Ces réserves comptent plus de 600 millions de barils de pétrole répartis dans quatre sites de stockage souterrains et dômes de sel le long des côtes du Texas et de la Louisiane. Le Congrès a autorisé la constitution de ces réserves en 1975, après l’embargo pétrolier décrété par les pays arabes, afin de disposer d’un volant de sécurité en cas de chocs sur l’offre émanant de pays exportateurs d’or noir.
Faire appel à ces réserves viserait à accroître l’offre et faire baisser les prix de l’essence.
L’administration Trump y avait réfléchi en 2018, avant de renoncer finalement. Le Congrès a commencé à puiser dans les réserves dans le but de lever des fonds pour financer les baisses d’impôts et d’autres dépenses. Sur autorisation du Congrès, le Département de l’Énergie a procédé à sept ventes depuis 2017, se délestant ainsi de plus de 60 millions de barils, soit environ 8,6 % du volume initial des réserves, selon les chiffres du Département.
Les salaires augmentent eux aussi. Cette hausse est-elle suffisante pour préserver le pouvoir d’achat des ménages, vu le rythme de l’inflation ?
Compte tenu des tensions sur le marché de l’emploi, les travailleurs obtiennent des augmentations de salaires. En termes réels cependant, leur rémunération ne leur confère pas le même pouvoir d’achat qu’auparavant. Le salaire horaire moyen a progressé de 0,4 % en octobre par rapport à septembre, alors que l’inflation s’est accélérée de 0,9 % dans le même temps ; dans ce contexte, les salaires ont diminué de 0,5 % en termes réels. Sur une base annualisée, les salaires horaires moyens affichent une progression de 4,9 %, inférieure donc à celle de l’inflation (6,2 %).
Autre facteur affectant l’inflation : les attentes concernant l’évolution des prix. Si les entreprises estiment que les consommateurs anticipent dans leur majorité une hausse générale des prix, elles pourraient être plus enclines à augmenter leurs prix sans craindre que les clients boudent leurs produits ou décident d’aller faire leurs achats chez un concurrent. Dans ce contexte, les employés peuvent aussi demander des augmentations de salaires à leurs employeurs pour faire face à la hausse du coût de la vie, ce qui risque de créer une spirale inflationniste.
On entend beaucoup dire que l’inflation élevée serait temporaire. Qu’en pensent les économistes ?
La plupart des économistes sont d’avis que l’inflation devrait s’atténuer l’an prochain sous l’effet du retour à la normale des chaînes d’approvisionnement et de l’arrêt de la hausse des prix de l’énergie. Mais comme cela est souvent le cas chez les économistes, le niveau auquel l’inflation se stabilisera fait débat. Les responsables de la Fed tablent pour leur part sur un retour à une inflation de 2-2,5 % l’année prochaine.
Les marchés financiers semblent cependant moins confiants. Vendredi, les titres indexés sur l’inflation intégraient une hausse des prix à la consommation de 3 % jusqu’en 2023, puis une décélération à 2-2,5 % au cours des années suivantes.
Quel est l’impact de l’accélération de l’inflation sur les taux des emprunts hypothécaires ?
Les prix des logements ont augmenté durant la pandémie sous l’effet conjugué de la faiblesse des taux d’intérêt des emprunts hypothécaires, de la vigueur de la demande et de tensions sur l’offre de matériaux de construction et de travailleurs du bâtiment. Les taux des emprunts hypothécaires sont restés bas parce que la Réserve fédérale a maintenu ses taux d’intérêt à des niveaux proches de zéro en vue de soutenir l’économie. Les économistes s’attendent à ce que les taux des emprunts hypothécaires se redressent lorsque la Fed relèvera ses taux d’intérêt, ce qui devrait être le cas à partir du milieu de l’année prochaine. Néanmoins, le coût des intérêts liés à l’achat d’un logement devrait rester bas dans un avenir proche, en partie parce que la Fed ne devrait pas procéder à des hausses de taux de grande ampleur.
De quelle manière l’inflation affecte-t-elle les marchés d’actions ?
A court terme, l’inflation peut soutenir les marchés d’actions. Les entreprises peuvent annoncer des bénéfices en hausse liés à une augmentation des prix de leurs produits. Près des deux tiers des plus grandes entreprises américaines cotées en Bourse ont annoncé de meilleures marges bénéficiaires à ce jour cette année que durant la même période de 2019, avant l’apparition de la Covid-19, selon des données de FactSet.
A long terme, l’impact de l’inflation pose cependant problème. Si elle s’inscrivait dans la durée, la hausse des prix conduirait la Fed à relever davantage ses taux d’intérêt pour réduire les tensions inflationnistes, ce qui augmenterait les coûts d’emprunt et freinerait la croissance. De nombreux investisseurs s’attendent à une correction du marché si les statistiques continuent de faire état d’une inflation forte au cours des prochains mois, car la Fed pourrait alors décider d’intervenir plus fermement.
Gwynn Guilford et Timothy Puko ont contribué à cet article.
Traduit à partir de la version originale en anglais.
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